Après Montpellier et Versailles, la capitale des Flandres françaises avait la chance d’accueillir, du 7 au 10 avril, l’Elena de Cavalli exhumée à Aix l’été dernier, 350 ans après sa création. Chef-d’œuvre de la maturité composé vingt ans après les débuts du Vénitien dans le genre lyrique (1659), cette fable sur le pouvoir du désir ruisselle de sensualité, tour à tour suave et brûlante, le trouble qui ravit le spectateur procédant autant de la musique que du travestissement (le prince Menelao en amazone) et de l’ambiguïté de son théâtre tragi-comique. Il n’y a pas jusqu’au roi chenu Tindaro (Krzysztof Baczyk, prometteuse basse de 24 ans) à qui la piqûre d’amour n’arrache une plainte voluptueuse. Ariosi, lamenti, duos et ensembles se fondent idéalement dans le flux sans cesse renouvelé du recitar cantando, d’une infinie plasticité et dont Leonardo Garcia Alarcón, en virtuose accompli du rubato expressif, sait comme personne libérer la puissance incantatoire.
Relativement dépouillée mais fraîche et joliment colorée par les lumières de Christian Dubet, la mise en scène de Jean-Yves Ruf se concentre sur la direction d’acteurs, son arène mobile facilitant les nombreuses entrées et sorties qui rythment le spectacle. Parmi les interprètes déjà entendus à Versailles, nous retrouvons avec bonheur l’alto profond et sonore de Rodrigo Ferreira (Peritoo), le fougueux Menesteo d’Anna Reinhold, cousin de Sesto, et l’Iro, encore plus libre et pétillant, de Zachary Wilder, voix autrement timbrée et solide que celle de David Szigetvàri, pâle Teseo après celui de Fernando Guimarães auquel le ténor épanoui de Brendan Tuohy, paradoxalement cantonné aux second couteaux (Diomede, Creonte), aurait certainement conféré une tout autre prestance. Par contre, Giulia Semenzato, soprano svelte et lumineux, réussit à s’approprier le rôle-titre, soulignant la coquetterie d’Elena, encore vierge mais déjà volage.
Avec Kangmin Justin Kim (vous le connaissez probablement, mais sans le savoir, sous les traits de Kimchilia Bartoli), la confusion des sexes passe d’abord par l’oreille, trompée par la féminité de cet organe fascinant, sans doute trop large pour l’écriture délicate de Menealo, mais dont nous n’avons pas fini d’entendre parler. Autre découverte et non des moindres : l’imposante et vilbrante Ippolita de Giuseppina Bridelli, riche et chaud mezzo qui sera, en août, à l’affiche du prestigieux festival d’Innsbruck dans l’Orontea de Cesti. Signalons également le contre-ténor Jake Arditti (fils d’Irvine, le célèbre violoniste), encore peu connu de ce côté-ci de la Manche, mais qui parvient à retenir l’attention dans des rôles pourtant secondaires (La Discordia, Euripile, Polluce). Ultime plaisir qui ne se refuse pas, Mariana Flores nous revient dans une forme éblouissante (Giunone, Astianassa, Castore).
Ovation et rappels, à la première comme à la dernière représentation, ont salué cette nouvelle résurrection majeure à mettre au crédit de Leonardo Garcia Alarcón, passionnant explorateur du Seicento. Ricercar a eu la bonne idée d’immortaliser la production originale donnée au festival d’Aix-en-Provence et qui sortira en DVD.