Depuis 2004 où elle est apparue aux côtés d’Edita Gruberova dans la version de concert de Norma, Elīna Garanča est devenue une habituée du Festspielhaus de Baden-Baden. D’opéras en galas, elle est l’une des valeurs sûres de la maison, où l’on prend beaucoup de plaisir à la voir accompagnée de son époux Karel Mark Chichon à la tête de différentes formations. Ce soir, c’est autour de son nouveau disque Revive qu’est organisé le programme éclectique d’un récital où, tout de même, on est un peu déçu de ne retrouver que la moitié (et encore) des numéros proposés dans l’enregistrement. Cinq airs et trois chansons à peine, entrecoupés d’interventions de l’orchestre, cela peut paraître un peu léger, mais il faut dire que l’équilibre est atteint et qu’au terme de deux heures et quart de musique, le public a pu apprécier toute l’étendue des capacités de la belle mezzo lettone.
Le concert s’ouvre avec une valse du Lac des cygnes expédiée à toute allure par la Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz pressée par Karel Mark Chichon. Nos habitudes d’écoute sont immédiatement bousculées, traitement auquel le chef nous soumet régulièrement dans ce lieu. Mais quand Elīna Garanča intervient, le tempo s’ajuste et les moindres sonorités de l’orchestre sont mises dès lors au service de la chanteuse. Cette dernière n’est jamais couverte par les instruments, bien au contraire. Si la jeune femme apparaît moins radieuse qu’à l’ordinaire, l’air fatigué, la voix, elle, affiche une forme éblouissante, plus posée que jamais, idéalement sonore dans les aigus. Sobre et toute de passion intérieure contenue, elle impose d’emblée une Pucelle d’Orléans noble et conquérante d’où affleure toute une palette de sonorités chatoyantes. Une délicate Valse mélancolique d’Emīls Darziņš opère une transition tout en raffinement vers une Dalila dont la froideur furieuse est admirablement restituée. Las, la prononciation laisse plus qu’à désirer et les surtitres allemands et anglais ne sont pas de trop pour retrouver son français… Ce reproche qu’on lui fait régulièrement est bien le seul vrai bémol qu’on puisse réellement poser sur une prestation, pour le reste, magistrale. Par ailleurs, la mezzo, dont on se souvient qu’elle rêvait d’être comédienne, est ce soir peu actrice. Non que cela crée une quelconque distance avec le public, mais Elīna Garanča nous avait habitués à un jeu aussi subtil qu’étendu, qui ajoutait à son charisme naturel et faisait de chacune de ses apparitions un moment mémorable. Sans doute le jeu a-t-il gagné en intériorisation ; toujours est-il que sa Santuzza dégage une rare intensité et bouleverse, comme cela avait été le cas à Paris dernièrement.
© Michael Gregonowits
Pour les rappels, Elīna Garanča nous sert son inusable « Carceleras », qu’elle aime apparemment offrir au public badois comme pour un dîner de retrouvailles où l’on se plaît à commander le même plat. Puis, c’est Granada qui achève de galvaniser l’auditoire. Les membres de l’orchestre ont refermé leurs partitions et c’est toute une rangée de couvertures bleues sur les pupitres qui indique au public qu’il n’y a plus rien à attendre. Certains se dirigent déjà vers la sortie. C’est alors que la chanteuse revient et s’adresse en allemand à la salle à qui elle explique qu’il n’y a malheureusement plus rien de prêt mais que la soupe est parfois bien meilleure le lendemain. Et c’est reparti pour quelques louches de « Carceleras », où le consommé est effectivement un peu plus piquant, mais toujours aussi délicieux. On reprendrait bien un peu de Dalila et surtout de Santuzza, mais la belle est déjà loin. Après tout, comme chacun sait, la vengeance est un plat qui se mange froid. En attendant, on se contentera des disques avant un prochain gala, dont on se délecte à l’avance…