Pour sa dernière création au Théâtre des Champs-Elysées avant sa prise de fonction à l’Opéra de Vienne, Dominique Meyer a choisi un opéra vénitien de Cavalli, La Calisto dont il a confié la mise en scène à Macha Makeïeff. Après la production de Herbert Wernicke au théâtre de la Monnaie, parue en DVD en 2006 et qualifiée par l’Avant-Scène opéra (n° 254) de « véritable splendeur visuelle et sonore », il fallait trouver un concept radicalement différent, capable de rivaliser avec cet « enchantement théâtral de tous les instants ».
Si certains éléments de décors évoquent le monde de l’enfance, à l’image de cet avion calciné sur lequel est peint en grosses lettres noires le nom de Phaéton, Macha Makeïeff a fait le choix d’un univers stylisé peuplé de nymphes guerrières et de divinités aux penchants bien humains. Coiffée à la garçonne, Calisto est traitée avant tout comme une chasseresse, armée de lance et poignard. C’est une nymphe proche de la nature et des animaux qui n’hésite pas à en venir aux mains pour repousser les avances d’un Jupiter trop entreprenant. Comme nous l’avait confié Sophie Karthaüser1, Macha Makeïeff l’a incitée « à faire ressortir le côté sauvage du personnage. » Ce côté sauvage se lit tant dans l’interprétation des personnages qu’au niveau des décors puisqu’on découvre un paysage désolé, presque lunaire, jonché de trois gros rochers bleus, d’un bosquet rouge probablement ravagé par les flammes et délimité par un fond noir parsemé de grands cercles dorés, tel un firmament vu à la loupe, et qui favorisent des jeux de lumière tout au long de la représentation même si la scène reste globalement sombre. Soumis à la violence, c’est un univers où Diane et Pan font çà et là appel à leurs sbires chargés de passer à tabac ceux qui osent contrevenir à leurs lois : Calisto est ainsi rouée de coups par les suivantes de Diane pour avoir manqué à son serment de virginité et Endymion séquestré par les suivants de Pan, jaloux de son amour pour la déesse vierge. Conformément au livret de Faustini, les dieux ne suscitent donc ni admiration, ni respect, tout absorbés qu’ils sont à satisfaire leurs pulsions : Pan est représenté au bord de la dépression car privé des faveurs de Diane tandis que Jupiter masse ses pieds endoloris par les talons comme après une bonne journée de travail. Quant à Mercure, il frise la vulgarité avec ses tatouages et sa tenue négligée. Certes, la mise en scène innovante de Macha Makeïeff est intelligente et cohérente mais elle met trop de côté le merveilleux et la magie, éléments constitutifs s’il en est de l’opéra baroque. Même si le déguisement de Jupiter arrive des cintres comme par enchantement, que l’on a bien quelques chars volants et que Calisto se transforme en un ours au pelage rose, on n’est jamais émerveillé. Pas même le bruit du tonnerre, enregistré, ne donne le frisson.
Si le charme n’opère pas vraiment au niveau de la mise en scène, l’émerveillement est bien présent devant la prestation de Véronique Gens toute d’élégance, qui en impose par son professionnalisme et sa prestance notamment dans son air de l’acte III « Moglie mie sconsolate ». L’Endymion du contre-ténor américain Lawrence Zazzo domine également la distribution livrant une très émouvante adresse à la Lune au début de l’acte II. Quant à Sophie Karthaüser, elle semble très à l’aise dans la peau de ce personnage au caractère ambivalent à la fois juvénile et guerrier. La voix, souple et légère est tout à fait adaptée à ce type de répertoire. Le reste de la distribution est satisfaisant mais inégal : le Jupiter de Giovanni Battista Prodi est drôle à souhait lorsque, déguisé en Diane, il s’offusque des suspicions de Junon à son sujet, mais en dépit d’une bonne projection, la tessiture du rôle est parfois un peu aiguë pour lui. Armée d’un fouet, Milena Storti incarne une Linfea excessive, avide d’amour charnel mais on perçoit un manque d’agilité dans les vocalises. Enfin, Marie-Claude Chappuis fait de Diane une divinité émouvante déchirée entre son devoir et ses amours.
Du clavecin comme de l’orgue, Christophe Rousset conduit des Talens Lyriques composés pour l’occasion de treize instruments conférant à la partie musicale un caractère intime tout à fait conforme à l’esprit de la création de l’opéra en 1651. Le choix de tempi enlevés insuffle du dynamisme à la partition. Grand habitué du répertoire lyrique, le chef dirige avec souplesse mais néanmoins rigueur solistes, chœur et instrumentistes.
1 cf. interview du 26 avril, « Je ne voyais pas Calisto sous cet angle-là »