L’Opéra de Massy reprend une ancienne production de l’Opéra de Marseille, qui reste globalement égale à elle-même. La version choisie n’est pas celle dite « de Paris » qui fit les beaux soirs de l’ère Liebermann, avec des distributions toutes plus époustouflantes les unes que les autres mettant en pratique le vieil adage de Toscanini (qui disait en substance : « monter le Trouvère n’est pas compliqué, il suffit d’engager les quatre plus grandes voix du moment »). L’Opéra de Massy cumule donc les difficultés en reprenant une production ancienne qui ne brillait déjà pas par son originalité, sans pour autant pouvoir s’offrir les quatre plus grands chanteurs du monde.
Les décors de Jean-Noël Lavesvre, ne seraient la longueur des changements qui coupent trop l’action, constituent de beaux ensembles, tout particulièrement lorsqu’il utilise tentures rouge et or, boiseries et grilles : l’atmosphère est solidement recréée, et la qualité de l’ensemble du spectacle lui doit beaucoup. Les costumes de Katia Duflot s’intègrent également plutôt bien dans l’ensemble, et s’ils ne sont guère originaux et présentent quelques flottements chronologiques, au moins constituent-ils un ensemble pas désagréable à regarder.
On ne peut en dire autant de la mise en scène de Charles Roubaud. Pour lui, le personnage central de l’opéra est Azucena, et le reste ne semble guère l’intéresser au point qu’il laisse les interprètes se débattre avec leur rôle dans une mise en place sommaire, mais sans aucune indication de direction d’acteur : c’est du moins l’impression que l’on ressent. On reste donc dans un Trouvère au premier degré, sans le moindre approfondissement psychologique. Il faut dire qu’il ne s’en cache pas, et l’on peut lire dans le programme une interview ou il déclare sans ambages : « Ce qui compte, c’est que le public reçoive une émotion, comme une décharge, qu’il rit ou qu’il pleure. Selon moi, il faut qu’il y ait une alchimie et que ce que l’on écoute corresponde à ce que l’on voit. C’est ça l’idéal, et pas d’intellect surtout : de l’émotion avant toute chose ! » Personnellement, je ne vois pas comment on peut créer de l’émotion sans intellect, mais ça, c’est une autre histoire…
Une fois cela établi, on comprend mieux les faiblesses relevées : la mollesse du corps de garde du début (bien chanté toutefois), et l’attitude statique et stéréotypée de Giovanni Furlanetto en Ferrando, les yeux en permanence rivés sur le chef et déconnecté de ce qui se passe en scène, mais qui offre néanmoins une belle voix et une belle ligne de chant, assez exceptionnelles pour ce rôle. De même, personne n’a expliqué à Murielle Tomao (Ines) que ce n’était pas elle la prima donna, et quelle devait être la manière de caractériser ces personnages de confidentes si fréquents dans les opéras de cette époque : accompagnement mais non prise de pouvoir !
Adina Aaron est une cantatrice bien connue maintenant des Parisiens, après une saison où elle a chanté successivement Treemonisha au Châtelet et Aïda au Stade de France. Elle a toutes les qualités de prestance et de présence en Leonora, la voix est belle, notamment dans le medium et le grave, mais elle n’a pas encore résolu le problème technique de l’attaque des notes de l’extrême aigu, et des notes aigues filées : peut-être un petit stage auprès de Montserrat Caballe ? Giuseppe Gipali chante un Manrico de bonne classe ; la voix n’est pas d’une puissance énorme mais a la vaillance nécessaire ; le timbre est idéal, les aigus fort brillants, et le style parfaitement adapté : il fait notamment les deux notes de la fin de « Di quella pira », alors que tant d’autres n’en font qu’une. Marzio Giossi (le comte de Luna)est peut-être l’élément le moins intéressant de la distribution, jeu scénique trop traditionnel et voix qui bouge parfois trop. Quant à Mzia Nioradze, elle est la seule qui ait participé à la production de Marseille en 2003. Son Azucena a la puissance et la véhémence, encore que la voix ait tendance à bouger, mais le côté illuminé du personnage lui est totalement étranger : là aussi, on reste au premier degré.
Le chef Alain Guingal, se donne lui aussi à fond dans la tradition, mais avec une efficacité évidente : la progression à travers les quatre actes vers le dénouement final, irrésistible comme elle doit l’être, lui doit beaucoup.