Après Aix en Provence en juillet 2017, après Versailles en décembre 2017, c’était au tour du Grand Théâtre de Luxembourg d’accueillir cette production étonnante, avec quelques nouveaux chanteurs néanmoins, nous allons y venir.
Un livret compliqué et improbable, une mise en scène sans grande imagination ni cohérence, mais avec tout de même quelques très beaux moments de-ci de-là, des costumes bien au-delà des limites du bon goût, dans un décor sans véritable lien avec l’intrigue, et dont la seule trouvaille est un montage d’ampoules électriques toutes tailles et toutes puissances mélangées, le visuel de ce spectacle n’a pas grand chose pour plaire. Et pourtant la salle est captivée, charmée, émue, ravie, amusée. Alors, où est le secret ? Le secret, c’est avant tout la musique de Cavalli, qui passe d’un affect à l’autre en deux mesures et demi, ne s’étale jamais, rebondit sans cesse entre tragédie et comédie, entre farce burlesque et déploration dramatique, avec au passage quelques pages vocales de toute beauté et des moments de tension dramatique intense, comme lorsque deux violons solos disposés dans la salle viennent ponctuer un duo vocal, ou lorsque les chanteurs entament le quatuor final a cappella. Mais le secret, c’est aussi la réalisation du chef, Leonardo García Alarcón, et de son équipe de la Cappella Mediterranea. On peut certes trouver que les tempos sont parfois un peu rapides pour permettre aux voix de développer leur ligne, mais les musiciens et leur chef proposent une étonnante palette de couleurs instrumentales et tiennent le spectacle de bout en bout par une attention constante aux détails de la partition, par une joie communicative de faire de la musique tous ensemble, en troupe, en équipe, l’orchestre formant corps avec les chanteurs.
© Pascal Victor
Le même esprit, festif et joyeux, règne sur le plateau. La troupe du départ, celle qui se produisit à Aix en 2017, n’a pas pu être entièrement reconstituée, la moitié des chanteurs manque à l’appel. Mais les nouveaux venus sont tous très bien intégrés, de sorte que les dix solistes forment une troupe très homogène que ne dépare aucune voix. Les quatre rôles principaux que sont Erismena (Judith Fa), Erineo (Carlo Vistoli), Aldimira (Norma Nahoun, belle présence scénique) et Orimeno (le pétillant Jakub Józef Orliński, qui se montre aussi bon comédien qu’il est bon chanteur) sont tous de jeunes talents prometteurs qui endossent leur rôle avec bonheur. Ils ont l’âge de leurs personnages, ils en assument les humeurs, les sentiments, les contradictions et les incohérences avec une énergie et une santé déconcertante et une joie communicative. A leurs côtés, Alexander Miminoshvili (Erimante) incarne avec malice un vieux roi à fausse barbe, Fiona McGown (Flerida) fait preuve elle aussi de beaucoup de sincérité et d’engagement, et Patrick Kilbride (Alcesta), travesti dans un costume impossible, compense par l’outrance du jeu la verdeur de la voix. Andrea Vincenzo Bonsignore (Agrippo), qu’on annonçait enroué et réclamant l’indulgence du public, fit une prestation tout à fait honorable. Paul Figuier (Clerio Moro) et Fabien Hyon (Diarte) qui complètent la distribution n’étaient pas en reste.