Des soixante-cinq opéras attribués sans conteste à Alessandro Scarlatti, une demi-douzaine seulement ont été enregistrés. Si son abondante œuvre religieuse est fréquemment illustrée, l’œuvre lyrique ne l’est guère que par ces rares intégrales et par de grands airs propres à mettre en valeur tel ou telle soliste. Aussi, la création française, en version de concert, d’Erminia, Tancredi, Polidoro e Pastore, ne peut laisser indifférent. C’est une serenata, genre dérivé directement de l’opéra, illustré avec un soin au moins égal, écrite – comme il se doit – pour un mariage princier en 1723. Seule la musique de la première partie nous est parvenue, et l’action s’arrêtera ce soir sur le récitatif et l’air pathétique d’Erminia. Le sujet est bien connu, tiré du chant VI de l’incontournable Gerusalemme liberata du Tasse, souvent illustré par les musiciens : Erminia a trahi son peuple pour l’amour de Tancrède (qui aime Clorinde). Un berger, ému par sa détresse l’a recueillie. Polidoro, à la recherche de Clorinde, est frappé par la beauté de la toute nouvelle bergère. Il avoue à Tancrède ce nouvel amour. Jaloux, croyant que la bergère est Clorinde, Tancrède part à sa recherche. Erminia chante enfin ses doutes, sa peur et les tourments de l’amour. Clorinde jouera… à l’Arlésienne. Des quatre acteurs, Erminia, seul personnage féminin (qui fut chanté par Farinelli), occupe une place centrale (6 récitatifs, un duo et trois airs). Les autres chanteurs se contenteront de deux airs chacun.
Le langage musical, l’orchestration aussi, permettent de mesurer l’évolution accomplie en une génération, de Cavalli à Alessandro Scarlatti. L’ouverture se codifie (à l’italienne), les airs s’étoffent, les récitatifs accompagnés prennent une densité nouvelle : on devine déjà Mozart à l’horizon de la perspective.
Concerto de’ Cavalieri fait partie des formations baroques d’excellence. Marcello Di Lisa et ses musiciens, complices de longue date, servent cette musique avec un réel engagement, pour notre plus grand bonheur. La distribution paraît idéale. Maria Grazia Schiavo, soprano, est Erminia. On se souvenait de ses héroïnes de Donizetti et de Mozart, et nous revient en mémoire qu’elle a chanté merveilleusement Vivaldi. Son aisance, son timbre lumineux, son articulation virtuose, stylistiquement irréprochable (les traits, les ornements) lui valent les acclamations d’un public conquis. Si son premier air « Al dolce nome » est le plus novateur de la serenata, le récitatif « Qui dove al germogliar » et l’air final « Torbido, irato e nero », contrastés à souhait, nous emportent. Pastore est campé par Christian Senn, beau baryton-basse, « Quando irato il toro mugge », avec le traverso, énergique, sonore, a la force expressive qu’appelle le sujet. Polidorio est chanté par le ténor Magnus Staveland. La partie sollicite peu la tessiture élevée et le soliste y déploie de belles couleurs. L’émission est claire, très articulée et nous réserve de beaux moments. D’expression très différente, chacun de ses airs est convaincant. Tancredi, Filippo Mineccia, est un contre-ténor puissant et agile, au timbre séduisant, dont l’égalité de registre est remarquable. Son aria di paragone «Come suol, veloce e ardito corre il cervo », avec les hautbois, d’une belle ligne de chant, ornée à souhait, est d’une force expressive singulière.
Un jalon important, d’une grande beauté, de l’art baroque napolitain, illustré simultanément par une riche exposition temporaire au Musée Fabre (L’âge de l’or de la peinture à Naples), jusqu’au 11 octobre. A quand un enregistrement ?