C’est un magnifique programme centré sur les thèmes de la nostalgie et de la mort que Stéphane Degout et Alain Planès avaient réuni pour leur récital à la Monnaie mercredi soir, bien en phase avec les journées courtes, grises et pluvieuses, avec les ciels bas et la morosité générale de cette fin d’automne. Puisant chez Fauré et Duparc pour les français, chez Schumann et Brahms pour les allemands, ils réussissent la gageure de présenter un programme quasi uniformément sombre sans lasser, créant une atmosphère très propice à la délectation morose.
La voix est somptueusement belle, mieux timbrée que jamais, en particulier dans le grave et le medium, avec une homogénéité idéale, des couleurs d’or et de bronze, mais aussi des allègements lumineux, tout cela parfaitement maitrisé et utilisé à bon escient en fonction des inflexions du texte et de la partition. La diction est elle aussi parfaite, dans les deux langues.
Mais en s’exposant après quatre jours d’intense session de master classes à la Chapelle musicale Reine Elisabeth, Stéphane Degout n’a pas voulu prendre de risque. Il décide donc de chanter l’ensemble du récital avec partitions, ce qui, disons-le tout net, change considérablement le rapport qu’un chanteur entretient avec la salle. Si musicalement, la différence n’est pas bien grande, la façon de dire le texte, de le communiquer au public et de le charger en émotions, la communion entre l’artiste et ceux qui l’écoutent s’en trouvent altérées. Le spectateur perçoit une certaine insécurité chez l’artiste et c’est tout son confort d’écoute qui est remis en cause. Le programme, pourtant, comprend bien des œuvres qui sont familières au chanteur, qu’il chante magnifiquement et depuis longtemps, en particulier toute la partie française de la soirée. Parallèlement à cela, le travail avec Alain Planès semble lui aussi inabouti. Bien sûr, rompu à la discipline et familier du répertoire depuis des lustres, ce pianiste habile ne se laisse pas vraiment prendre en défaut. Mais l’élaboration d’une interprétation commune, la précision des détails propre à toute interprétation de musique de chambre semble avoir été faite trop rapidement, semble insuffisamment muri pour s’imposer au public.
Le récital commence par quelques mélodies de jeunesse de Fauré, dont on célèbre le centenaire de la mort. Le ton sombre et intense de la soirée est donné dès l’entame. Suivent les neuf Lieder de l’opus 24 de Schumann, son premier recueil, composé dans sa période la plus féconde autour de l’année 1840, d’une magnifique spontanéité d’inspiration, et pourtant bien complexe à mettre en place. Pris dans un tempo plus lent qu’à l’habitude, abordé avec circonspection, mais surtout chantés le nez dans la partition, ces pages somptueuses recèlent bien des pièges. A plusieurs reprises, pianiste et chanteur peinent à se rejoindre, en particulier dans Mit Myrthen und Rosen où la partie de piano, à contretemps de la mélodie, nécessite un long travail de mise en place.
Placé en fin de première partie, l’Horizon Chimérique de Fauré, est un des cycles préférés de Degout qui met si bien en avant les poèmes de Jean de la Ville de Mirmont. Ce jeune poète, décédé bien trop tôt à la guerre de 14, inspire à Gabriel Fauré déjà fort âgé une musique très élaborée, particulièrement soignée, délicat et émouvant hommage de la sagesse du grand âge à la fougue impétueuse de la jeunesse. Magnifiquement dominé par le chanteur, le cycle ne reçoit pas de la part du pianiste le soin et l’attention qu’il mériterait, de sorte que le sentiment d’intimité, si précieux dans cette musique-là, fait un peu défaut.
Après la pause, cinq mélodies d’Henri Duparc, pas nécessairement les plus souvent données, sont elles aussi parfaitement maîtrisées par le chanteur, culminant avec la magnifique Chanson triste, mais plusieurs petits accidents dans la partie de piano, il est vrai très fournie, viennent à nouveau perturber un peu la sérénité de l’auditeur. Gardant le plus sombre pour la fin, les deux musiciens termineront leur programme dans une ambiance de cathédrale avec les Vier ernste Gesänge de Brahms, où domine le sentiment religieux teinté d’intériorité.
Trois bis de Claude Debussy viendront clore la soirée, toujours dans la même veine sombre.