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EÖTVÖS, Le Balcon — Bordeaux

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Spectacle
20 novembre 2009
Et si c’était vai

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Détails

Le Balcon (Eötvös, Ryan – Bordeaux)

Peter Eötvös

 

Le Balcon

Opéra en dix tableaux (nouvelle version 2004)

Livret de Françoise Morvan avec la collaboration de Peter Eötvös et d’André Markowicz

Créé à Aix-en-Provence le 5 juillet 2002.

Nouvelle Production d’après la production de l’Opéra de Fribourg – Création à Bordeaux.

 

Jean-Manuel Candenot  (Le chef de la police), Nigel Smith (l’Envoyé de la cour),

Irma (Maria Riccarda Wesseling), Carmen (Melody Louledjan)

  

Mise en scène, Gerd Heinz

Décors et costumes, Stefanie Seitz

Lumières, Eric Blosse

 

Irma / La reine, Maria Riccarda Wesseling

Carmen, Melody Louledjian

La femme / La voleuse / La fille / Chantal, Magdalena Anna Hofman

Le chef de police, Jean-Manuel Candenot

Roger, Thomas Dolié

L’évêque, Jacques Schwarz

Le juge, Julius Best

Le général, Armand Arapian

L’envoyé de la cour, Nigel Smith

Le bourreau / Arthur, Till Fechner

 

Orchestre National Bordeaux Aquitaine

Direction musicale, Kwamé Ryan

 

Bordeaux, Grand Théâtre, 20 novembre 2009

 

Et si c’était vrai

 

Difficile de distinguer le vrai du faux dans le théâtre de Jean Genet et plus encore dans Le Balcon, œuvre de simulacre qui offre une multitude d’interprétations possibles. Alors que la révolte fait rage dans la ville, les clients du bordel que dirige Madame Irma laissent libre cours à leurs fantasmes. Sont-ils vraiment juge, évêque, général ou chef de la police ? Leur uniforme n’est-il pas plutôt prétexte à une charge vitriolée contre la société, accusation dont l’humour n’est pas absent, rendant la critique encore plus acerbe. A partir de cette « non histoire », Françoise Morvan a écrit un livret, légèrement condensé par rapport à la pièce, sur lequel Peter Eötvös a composé un opéra de chambre, créé en 2002 au Festival d’Aix-en-Provence, repris ensuite à Freiburg, Amsterdam, Toulouse, Dijon, Besançon et Budapest, puis à Bordeaux du 20 au 27 novembre dans une version légèrement modifiée pour l’occasion (changements dramatiques dans les trois premiers tableaux ajout d’un orgue Hammond à l’effectif orchestral, révision de l’instrumentation, pauses écourtées entre les scènes).

 

C’est à Kwamé Ryan, directeur artistique et musical de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine et élève de Peter Eötvös (l’un des plus doués d’entre eux dixit le compositeur), que l’on doit cette création du Balcon en Gironde. Le chef d’orchestre retrouve avec un plaisir non dissimulé une partition qu’il a déjà défendue à Freiburg. Plaisir perceptible à travers le mouvement souple des bras et du corps dont il accompagne sa direction. Kwamé Ryan d’ailleurs ne dirige pas cette musique : il la danse, il la vit, réussissant à unifier une composition patchwork qui multiplie les références : Weill et Bernstein pour le côté cabaret-jazz mais aussi le Sprechgesang, certaines vocalises baroques, des sonorités alla Bartok, des accords alla Stravinsky, la précision horlogère d’un Ravel, la prosodie de Pelléas et Mélisande et plus surprenant la chanson réaliste française : Fréhel, Ferré, Brel… De l’orchestre mené avec une rigueur virtuose, jaillissent des sonorités, liées, martelées ou hachées, parfois abruptes dans leurs dissonances, d’autres fois au contraire soyeuses, enfumées de cuivres jazzy (mention spéciale au saxophone de Thomas Lachaize et à la trompette de Jean-François Dion) ou agitées d’un swing à l’entrain communicatif.

 

L’amoureux des voix se trouve moins à la fête. L’écriture de Peter Eötvös donne peu d’occasions aux chanteurs de sacrifier au lyrisme. Dans sa volonté de traduire les égarements des personnages, elle les soumet même parfois à rude épreuve. Ainsi, il n’est pas question d’hédonisme vocal pour L’évêque et Le juge : Jacques Schwarz et Julius Best dont le chant se réduit à une ligne sans chair. Nigel Smith s’étrangle dans les vocalises impossibles de L’envoyé de la cour. Les rôles du chef de police, Jean-Manuel Candenot, et d’Arthur, Till Fechner, semblent essentiellement parlés. Le général s’avère un peu mieux loti avec un ersatz d’air au troisième tableau qui met en valeur le baryton mordant d’Armand Arapian. Mais côté masculin, c’est avant tout le timbre de Thomas Dolié (Roger, le chef des insurgés) qui capte l’oreille. Une présence, un charisme vocal indéniable que laisse apprécier le duo avec Chantal : Magdalena Anna Hofman, qui interprète aussi des rôles de La femme, de La voleuse et de La fille, avec plus de conviction pour ce dernier dans la mesure où il profite de « l’évocation poétique » du troisième tableau. Le tempérament de Maria Riccarda Wesseling1 s’accomplit dans le rôle d’Irma, tenancière classieuse avec ce qu’il faut de gouaille et de distinction mais la partition réduit l’impact de la voix en la poussant dans ses retranchements les plus graves. Dans ces conditions, la Carmen de Melody Louledjian, Girandole encore un peu raide il y a peu dans La Cour du roi Pétaud, lui vole la vedette : silhouette infinie, charme vénéneux à la Louise Brooks et surtout séduisant soprano à l’aigu percutant dont les phrases mélodiques du 4e tableau soulignent sur fond de musique feutrée le legato et le fruit.

 

La mise en scène de Gerd Heinz s’appuie sur un dispositif cylindrique percé de trois portes derrière lesquelles se trouvent les chambres du bordel et qui, en pivotant, révèle l’escalier du palais royal. Intelligent, illustratif, son travail réussit à ne jamais être choquant ou vulgaire. Un tour de force compte tenu du sujet scabreux de la pièce.

 

Au final, les applaudissements appuyés semblent vouloir manifester ostensiblement leur soutien à la musique contemporaine, le public aquitain s’affirmant plus avant-gardiste que le public parisien. A moins que, comme le dit Madame Irma en guise de conclusion, tout cela ne soit encore plus faux une fois le rideau tombé.

 

Christophe RIZOUD

 

1 lire l’entretien qu’elle nous a accordé dans le cadre de cette production

 

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