Vouloir rendre l’opéra plus abordable, plus transportable, est une intention éminemment louable, et il est encore plus louable de le faire par le biais d’une création, au lieu de retailler une partition existante pour l’adapter à des moyens nécessairement moindres. Loin des arrangements et autres réductions très en vogue aujourd’hui, L’Echange se présente comme un opéra tout neuf, directement pensé pour des effectifs légers : seize instrumentistes, quatre chanteurs, un seul décor. Sur ce plan, le contrat est entièrement rempli. Il faut cependant nuancer : cette œuvre lyrique d’après Claudel mérite-t-elle d’être appelée « opéra nouveau », comme le fait le programme ? Certes, Antoine d’Ormesson est né un an avant la création de Wozzeck, mais sa musique est un peu à Richard Strauss ce que celle de feu Daniel Catán est à Puccini : si l’orchestre évoque parfois le groupe des Six, avec un leitmotiv à la trompette qui ressemble fort au thème célèbre conçu par Nino Rota pour La Strada, le récitatif post-debussyste est marqué par des bizarreries prosodiques (e muets appuyés, mots curieusement coupés du reste de la phrase) et l’arioso est assez nettement straussien, tendance Rosenkavalier plutôt qu’Elektra. Malgré ce passéisme – ou grâce à lui –, la partition parvient à créer de réels moments d’émotion, à travers de beaux duos ou trios où les voix se superposent voluptueusement.
Autre nouveauté annoncée : la salle Gaveau accueillait pour la première fois une production scénique. Mais là encore, il convient de nuancer. L’espace est extrêmement restreint pour les déplacements des chanteurs, on le savait déjà. Quant à l’idée de confier la réalisation du décor à une artiste présente au fond de la scène, elle semble reprendre le coup de génie d’Olivier Py pour Alceste, sauf que le compte n’y est pas du tout : Aurore Pallet passe preque toute la durée du spectacle à peindre en noir et blanc un paysage réaliste dont les contours sont déjà tracés (un peu comme les coloriages numérotés pour enfants), paysage dont la seule justification arrive au moment de l’incendie, lorsqu’on barbouille en rouge la maison qui brûle… Les costumes, acceptables pour les dames, ne sont pas très heureux pour les hommes (chemise trop moulante pour Louis Laine, gilet brillant pour Thomas Pollock). La mise en scène de Brigitte de la Chauvinière passe assez inaperçue, et une véritable direction d’acteurs aurait dû permettre à Léchy Elbernon de garder un semblant de dignité dans sa scène d’ivresse, au lieu de tituber comme une caricature de poivrote.
Heureusement, il y a les chanteurs, dont la prestation est à saluer. Les tessitures sonnent souvent proches les unes des autres, au point que le baryton Jean-Louis Serre est très souvent dans une zone voisine de la voix du ténor, un Rémy Poulakis confronté à une écriture tantôt tendue dans l’aigu, tantôt couverte par l’orchestre dans le grave. On doit de bien beaux moments au soprano capiteux de Ksenija Skacan, notamment lorsqu’il s’associe au timbre plus sombre de Yété Queiroz. Soyons reconnaissants envers ces chanteurs, comme envers les instrumentistes de l’ensemble HI-14 dirigés par Sébastien Billard, qui ont fait l’effort d’apprendre cette œuvre pour les trois représentations données à Paris, sans aucune certitude de devoir jamais la rechanter (Jean-Louis Serre et Ksenija Skacan ont déjà participé à la création d’œuvres d’Antoine d’Ormesson). Rien n’indique en effet pour le moment que cet opéra sera réentendu, sitôt passé l’attrait de sa très relative « nouveauté ».