Prenez un artiste dans la force de l’âge – Christopher Purves –, ventripotent mais pas trop, cabotin forcément, comédien autant que chanteur même si mis en difficulté par une partition qui exige aussi un format héroïque, mais doué de cette « capacité très anglaise à être simultanément très sérieux et très drôle »* ; travestissez-le en chef cuisinier pour le présenter moins gourmand que gourmet, plus sympathique que clownesque sans pour autant renoncer à l’accoutrer de costumes et perruques ridicules ; plongez-le dans des décors aux couleurs acidulées, entre Fortuny et Pink Floyd ; bardez-le d’un adversaire atrabilaire – Stéphane Degout (appréciez au passage la manière hargneuse mais néanmoins comique dont le baryton, moustache en berne, croque à pleine dents, du grave jusqu’à l’aigu, de la rage contenue jusqu’à l’éclat, le long monologue de Ford) – ; fourrez-le de deux jeunes premiers à la silhouette et la typologie vocale idéales en dépit d’une moindre puissance – Giulia Semenzato, soprano dont la légèreté sied aux volutes aériennes de Nannetta et Juan Francisco Gatell, ténor avant tout rossinien mais Fenton veut plus de grâce que de muscle – ; arrosez-le d’une mezzo dont on ne soupçonnait pas l’inénarrable vis comica – Daniela Barcellona, longtemps abonnée aux grands rôles de travesti dans les opéras de Rossini – ; saupoudrez en vrac d’autres artistes irréprochables bien que moins mémorables ou moins avantagés par la partition – Carmen Giannattasio (Alice), Antoinette Dennefeld (Meg), Gregory Bonfatti (Cajus), Rodolphe Briand (Bartolo), Antonio di Matteo (Pistola) – ; versez l’ensemble dans une fosse peut-être trop étroite pour que scintillent autant qu’on l’aimerait les prodiges d’une orchestration éblouissante ; confiez ce mécanisme d’horlogerie diabolique à une baguette dont l’efficacité prime sur la poésie – Daniele Rustioni, chef permanent de l’Opéra national de Lyon, mis à rude épreuve par certains ensembles mais dont le réglage de la fugue finale, exaltée par un chœur enfin sollicité à part entière, s’affirme comme un modèle jubilatoire de précision – ; puis montez vigoureusement la comédie en neige, tout en veillant soigneusement à ce que le mouvement épouse les humeurs d’une musique virevoltante, jusqu’à ce que le public hilare applaudisse à tout rompre. Telle est la recette du Falstaff proposé par Barrie Kosky sur la scène du Théâtre de l’Archevêché.
© Monika Rittershaus
S’il est savoureux, le plat ainsi mijoté gagnerait à être moins assaisonné. Les gags ne sont jamais aussi percutants que lorsqu’ils obéissent à la lettre du livret. Qu’ils s’en écartent, ne serait-ce que d’un soupçon, et l’effet tombe à l’eau, tel le panier de linge sale dans la Tamise à la fin du 2e acte, qui en l’occurrence fait moins plouf que flop. Entre chaque tableau, des voix enregistrées récitent de longues recettes de cuisine. L’idée, si elle facilite les changements de décor, retombe à la vitesse d’un soufflé. Elle est d’ailleurs abandonnée dans la deuxième partie sans que nul ne le déplore. « J’adore les comédies hyper-structurées comme celle-là »*, s’enflamme Barry Koskie. On s’en serait douté. Ne dit-on pas le cuisinier amoureux lorsque le plat est trop salé.
* Barry Kosky dans un entretien réalisé par Timothée Picard en mai 2021