L’opéra national de Paris aurait-il remis à l’affiche cette saison Falstaff dans la mise en scène de Dominique Pitoiset si Bryn Terfel n’avait pu endosser le rôle-titre ? Près de vingt ans après sa création sur la scène de la Bastille (1999) et après plusieurs reprises (2003, 2013), cette approche en tout point fidèle au livret n’a certes toujours pas pris une ride. Peut-être est-ce l’avantage des lectures conformistes ? Elles vieillissent moins vite que d’autres. La seule transgression au livret est la transposition de l’intrigue dans une Angleterre proche de Dickens, au détriment de Shakespeare. Avec ses panneaux coulissants utilisés pour figurer les différents tableaux, les commères de Windsor font tourner en bourrique un Falstaff qui ne demande rien d’autre. Bryn Terfel se glisse une fois encore avec un plaisir énorme dans un costume à sa juste démesure. Grotesque, pleutre, frondeur, coléreux, vicieux, il ne manque rien à son Pancione si ce n’est l’inquiétude métaphysique qui offre au personnage une dimension supplémentaire.
Cette interprétation au premier degré sert d’étalon à la lecture de Fabio Luisi sans que l’on sache finalement qui du chanteur, du metteur en scène ou du chef d’orchestre a dicté le parti-pris. Toujours est-il que le rire dans la salle et dans la fosse prime sur la poésie, le lyrisme et les questions existentielles que Verdi, au-delà de la farce, a interfoliés dans son ultime opéra. Si l’émotion ne sourd pas de phrases qui devraient la susciter – les échanges entre Nannetta et Fenton, une grande partie du dernier acte –, si aucune ombre ne vient accuser le relief, les mille et un détails d’une orchestration foisonnante sont soulignés d’une baguette vive qui, au fil des représentations, parviendra à la précision millimétrée requise par certains ensembles. Les forces de l’Opéra national de Paris – instrumentistes et artistes du chœur – sont les tisseurs remarquables de cette dentelle sonore.
© Sébastien Mathé / Opéra national de Paris
Les quatre commères étrennent leur rôle avec une aisance scénique que, pour certaines, l’on voudrait au diapason vocal d’une écriture virevoltante. Varduhi Abrahamyan bute contre les répliques les plus graves de Quickly, difficilement audibles du 19e rang de ce trop grand vaisseau qu’est l’Opéra Bastille. Ulrica dans Un Ballo in maschera sur cette même scène au début de l’année prochaine en remplacement de Lucia d’Intino ne serait-il pas un défi prématuré ? Définitivement rangée des coloratures qui marquèrent ses débuts, Aleksandra Kurzak possède l’esprit mutin d’Alice à défaut d’en avoir toujours l’ampleur. Là encore, la salle est vaste pour pouvoir toujours passer la rampe. Reste du passé belcantiste, un trille plusieurs fois requis à des fins comiques et joliment battu. Le mezzo-soprano épanoui et sonore de Julie Pasturaud propulse Meg au même rang que ses comparses quand le rôle sert souvent de faire valoir. Première Nanetta, premier Opéra Bastille, premier Verdi : le baptême est triple pour Julie Fuchs. Il faudrait à son soprano fruité un Fenton moins brusque que Francesco Demuro pour pouvoir mieux apprécier la fraîcheur du timbre et la longueur de souffle, idéales dans une Chanson de la fée justement applaudie. Des trois gredins – Cajus, Bardolpho et Pistola – se détachent en volume les ténors de caractère : Graham Clark et Rodolphe Briand, qui interprètera prochainement les quatre valets dans Les Contes d’Hoffmann à Monte-Carlo. Franco Vassallo est l’exception qui confirme la règle. Son Ford sinistre vient d’une voix longue et solide contrebalancer la bonne humeur qui anime cette reprise, à l’affiche jusqu’au 16 novembre prochain.