Il est des êtres qui ont le pouvoir de susciter le génie. Tel fut le cas de la glorieuse reine Elizabeth, qui commanda à Shakespeare une comédie sur le personnage de Falstaff, protagoniste d’une autre pièce du grand dramaturge, Henry IV. Trois siècles plus tard, en 1893, le librettiste Arrigo Boito titille à son tour le génie de Verdi. Pourquoi s’arrêter avec Otello ? Il aura bientôt 80 ans, et alors ? Boito décide de soumettre au compositeur en « préretraite » Les joyeuses commères de Windsor, un petit bijou comique dont le héros s’appelle Falstaff. Verdi relève le défi, se met à l’ouvrage, et compose un opéra-testament dont on connaît la verdeur et le caractère novateur. Pour déployer son « grand éclat de rire » – l’expression est de Boito –, le vieux compositeur reste à la page et tourné vers la modernité. Clin d’œil à Wagner, main tendue à Puccini et à la jeune génération, son Falstaff est une œuvre lyrique et comique, accessible au grand public, et qui s’inscrit parfaitement dans la programmation du Festival de Saint-Céré.
Car à Saint-Céré, il s’agit bien d’aller trouver les spectateurs là où ils sont – dans une région riche de sites historiques, dans leur langue (française), et dans leur appétit de plaisir. Olivier Desbordes, créateur du festival et metteur en scène de ce Falstaff estival, a tout d’abord su tirer le meilleur parti du décor naturel que lui offrait la cour du château de Castelnau (46). Sous la brique des remparts et les feux de la rampe, admirablement dirigés par Patrice Gouron, chanteurs et musiciens occupent l’espace et ressuscitent la forteresse médiévale.
Une belle toile de fond, donc, pour peindre quelques tableaux frappants, placés sous le signe du Caravage ou du festin élisabéthain. On retient particulièrement le foisonnement coloré des robes en velours, ou le mélange des fraises et des culottes bouffantes, alternant avec d’autres oripeaux extravagants sortis des mains de Laure Bouju. Mais il arrive que la beauté de l’image n’aille pas sans une certaine gratuité, notamment au cours du premier acte, qui peine à mettre en branle la machine de la bouffonnerie.
De fait, si « le monde entier est une farce et l’homme est né bouffon », comme le proclame Falstaff à la fin de la comédie, les personnages principaux ont un peu du mal à nous le faire sentir. Peut-être faut-il en accuser la pesanteur des costumes et la chaleur écrasante ? Toujours est-il que Christophe Lacassagne fait un Falstaff un peu trop sage et que le programme de commedia dell’arte, suggéré par la transformation de la table géante en tréteaux dramatiques, nous laisse un peu sur notre faim. Parfois absent quand on l’espère, le comique surgit aussi là où on ne l’attend pas, notamment dans la traduction française du livret italien, dont les trouvailles ne sont pas toujours très heureuses.
© Nelly Blaya
Non seulement l’œuvre pâtit du caractère pointu de notre langue, altérant le velouté propre à l’italien, mais certains interprètes sont un peu à côté de la couleur attendue. La voix de Christophe Lassagne est un brin trop claire, celle de Valérie Maccarthy (Alice Ford) pas assez ample, et Jacques Chardon (Bardolfo) chevrote un chouïa quand Laurent Galabru (Fenton) « craque » quelques aigus. La jeune Anaïs Constans (Nanette), bénéficiant d’un rôle qui associe intimement le lyrisme au legato, tire son épingle du jeu. Scintillant au-dessus de la partition comme les étoiles au-dessus des remparts, sa voix nous procure un vrai moment de grâce.
Au fond de la scène, l’orchestre brille par son élégance et son efficacité. La précision des timbres, rehaussée par l’écriture verdienne, contribue à l’équilibre musical de l’ensemble, même si les chanteurs ont tendance à décrocher rythmiquement quand la machine dramatique s’emballe un peu. Mais dans ces moments-là, on se réjouit de voir l’opéra prendre son véritable tempo, celui de la bouffonnerie. Sous l’énergie, le relâchement théâtral et l’arlequinade assumée, le génie d’un vieil homme qui a tout compris à la comédie de la vie.