« La mise en scène de Falstaff devrait être à l’image de l’interprétation du rôle-titre : ronde mais sans jamais peser » explique Gilles Bouillon. Sa représentation de l’opéra de Verdi à Tours ne déroge pas à la règle qu’il s’est fixée : drôle, enlevée, sautillante mais légère, à défaut d’être poétique ou même assombrie de cette mélancolie que veut souvent dissimuler le rire. Tout dans le monde est farce ; la vie sinon – et donc la mort – serait inacceptable. Dans des décors colorés de Nathalie Holt, des paravents en forme de feuillages favorisent les innombrables chassés-croisés. Un contresens inexplicable à la fin du deuxième acte vient rompre la cohérence du discours. Ce n’est pas le contenu entier de la corbeille à linge qui est vidé dans le canal mais le seul Falstaff extrait de sa cachette au vu et au su de tous. Au troisième acte, le récit reprend son cours fidèle et joyeux. La salle s’esclaffe souvent. Tout va bien.
À vrai dire – et ce n’est pas déprécier le travail de Gilles Bouillon et de son équipe – mettre en scène Falstaff n’est pas mission impossible. La direction musicale donne davantage de fil à retordre. Jean-Yves Ossonce fait mieux que relever le défi, confirmant une nouvelle fois le niveau de qualité atteint par son Orchestre Symphonique Région Centre-Tours. Sa lecture suit avec précision les multiples lignes d’une écriture virtuose, préservant le délicat rapport entre parole et musique. Elle obéit aussi à la règle précédemment fixée : joviale sans exagération, en un mot équilibrée.
Le Falstaff de Lionel Lhote se coule dans le moule. D’une santé vocale à toute épreuve, inhabituellement jeune, son pancione a de l’éloquence. Il aura demain de la verve. En attendant, La voix ne fait qu’une bouchée d’un rôle qui exige plus de l’interprète que du chanteur. La noblesse du ton trahit le gentilhomme, la recherche de couleurs le souci du mot. L’aigu, assuré et parfois longuement tenu, pourrait être détail s’il ne contribuait à dessiner le personnage, d’un trait épais mais jamais appuyé. La règle prévaut encore.
Lionel Lhote (Falstaff) © François Berthon
Des autres chanteurs pris dans leur ensemble, on aimerait que les voix se fondent davantage, notamment dans l’ébouriffante deuxième partie du premier acte. Chacun séparément remplit plus ou moins son contrat. Plutôt moins : Isabelle Cals dont la vocalité et le tempérament convenaient mieux à la gouvernante du Tour d’écrou sur cette même scène en mars dernier qu’à Alice ; Nona Javakhidze, pas toujours audible bien que dotée d’un de ces timbres qui font les « Reverenza » cajoleries et Enrico Marruci. Aidé par la mise en scène, le baryton italien tire Ford vers le mari d’opérette quand sa grande scène du deuxième acte, pour prendre toute sa dimension parodique, le voudrait frère de Posa. Plutôt plus : la Meg de Delphine Haidan, le Docteur Caius d’Eric Vignau, tous deux portant au premier plan des personnages secondaires ; le couple comique formé par Antoine Garcin (Pistola) et Antoine Normand (Bardolfo), ainsi que les deux amoureux, Norma Nahoun (Nannetta) et Sébastien Droy (Fenton) dont le charme supplée pour l’une à quelques attaques hésitantes, pour l’autre à l’absence de demi-teintes.