Il y a quelques années, Leonardo García Alarcón nous faisait découvrir le compositeur Michelangelo Falvetti, à travers une œuvre de première importance, Il Diluvio Universale, donnée en 2010 à Ambronay, et plus de 60 fois ensuite à travers l’Europe. Quelques recherches plus tard, il apparait que ce Falvetti est aussi l’auteur d’un autre oratorio, lui appelait cela un dialogo, composé un an plus tard, œuvre d’une ampleur un peu moindre, mais non de moindre intérêt. Créé lui aussi à Ambronay en 2012, repris à Dijon en 2017, Il Dialogo de Nabucco puise son sujet dans la Bible, et plus précisément dans le livre de Daniel : pour célébrer sa victoire sur la ville, le Roi Nabuchodonosor fait ériger une statue à son effigie. Ivre d’orgueil, il oblige ensuite les habitants à se prosterner devant cette représentation. Trois enfants israélites se refusent à vénérer une image païenne, et sont condamnés au bûcher. Une intervention divine les protégera des flammes et les fera sortir indemne.
Le livret fait de Nabucco une personnalité complexe, en proie au doute, qui souffre et connait même des moments de folie. Tout cela est magnifiquement rendu par la musique, d’une très grande richesse et diversité de ton, explorant des sentiments nuancés à travers une grammaire très complète, puisant dans tous les raffinements dont le XVIIe italien est capable.
Comme très souvent à l’époque, l’œuvre a des résonances politiques, contemporaines de sa création : Messine, annexée par Charles Quint, vit alors sous le joug espagnol qui fait ériger la statue du Roi Charles II : le parallèle est facile à établir. Mais d’autres résonances beaucoup plus contemporaines s’imposent à nous, avec leurs images de statues renversées, lorsqu’on se souvient que Nabuchodonosor conquit l’Assyrie, d’où l’actuelle Syrie tire son nom.
La partition originale a été conservée à Naples, d’où elle fut tirée de l’oubli par le musicologue Nicolo Maccavino. Restait alors à en reconstituer l’instrumentation, travail que García Alarcón avait déjà fait pour Il Diluvio Universale. Un rôle essentiel est confié aux percussions, tenues de main de maître par l’excellent Keyvan Chemirami, musicien d’origine iranienne, présent quasiment tout au long de l’œuvre et qui confère à ses interventions une couleur orientale particulièrement réussie. C’est à lui qu’il revient d’entamer le spectacle avec un solo très inspiré, qui débouche sur un prologue allégorique : l’Eufrate disserte avec l’idolâtrie et l’orgueil.
Musicalement, ce prologue est construit sur un motif d’ostinato instrumental, sorte de préfiguration du chœur d’ouverture de la Passion selon Saint-Jean de Bach, écrit quelques 40 ans plus tard. La partition de Falvetti est d’une grande diversité d’inspiration, et d’une qualité qui peut sans rougir être confrontée à celle des musiques de Scarlatti ou Stradella, pour s’en tenir aux italiens de la même époque.
Le chœur intervient dès ce prologue, placé dans les allées latérales de la salle, pour un effet de spatialisation très réussi. La tension dramatique culmine avec le trio où les enfants déclarent préférer mourir plutôt que d’honorer la statue : Risolvo morire sorte de passage au temps suspendu et à l’écriture particulièrement soignée, avec un caractère oriental bien marqué.
La distribution est dominée par le ténor Valerio Contaldo dans le rôle-titre. Sa voix puissante et pleine de riches couleurs, son excellente diction lui permettent de s’imposer malgré un petit accident de mémoire. A ses côtés, le jeune contre-ténor Nicolò Balducci dans le rôle d’Arioco, le capitaine des gardes chargé de faire appliquer les sentences iniques du tyran, livre lui aussi une interprétation de grande qualité : la voix est pleine de charme, avec une souplesse très virtuose et des inflexions qui lui permettent l’expression d’une grande diversité de sentiments. Tout au plus pourrait-on souhaiter pour ce rôle un peu plus de puissance. Dans l’emploi du prophète Daniele, chargé de stimuler la foi devant les épreuves, la basse Rafael Galaz Ramirez montre une belle voix profonde et un caractère conciliant. Les trois enfants sont chantés par trois sopranos. Si Ana Quintans et Lucia Martín-Cartón sont vocalement parfaites, avec ce qu’il faut de modestie mais aussi d’insolence et d’ironie, on s’étonne de voir Mariana Florès orienter son interprétation entièrement vers le registre de la séduction féminine, sans rapport avec le rôle. La voix, moins souple que celle de ses consœurs, connait quelques duretés dans l’aigu.
Voix naturelle bien placée, mais à la technique moins aboutie, la basse Matteo Bellotto (Eufrate) complète cette distribution. L’excellent chœur de chambre de Namur, préparé par Thibaut Lenaerts, chante avec conviction, souplesse et fluidité. Il donne à chacune de ses interventions le ton juste.
Particulièrement vif et nuancé, attentif à tous les détails de la partition, l’orchestre Cappella Mediterranea réagit au doigt et à l’œil d’un chef visiblement comblé.