Créé à l’Opéra-Comique en janvier 1872, Fantasio est retiré de l’affiche au bout de dix représentations, c’est un échec. Le mois suivant, la création à Vienne n’obtient qu’un succès mitigé, aussi Offenbach se désintéresse-t-il de l’ouvrage pour revenir à l’opéra-bouffe qui fit sa gloire. Quant à la partition, disséminée à différents endroits, c’est grâce au travail minutieux de Jean-Christophe Keck, grand spécialiste du compositeur, qu’elle a pu être reconstituée. Depuis, l’œuvre a connu quelques reprises, à Rennes notamment, et bénéficié d’un enregistrement discographique publié par la firme Opera Rara.
Le livret narre les aventures de Fantasio, jeune étudiant criblé de dettes, qui parvient à se faire engager comme bouffon à la cour du roi de Bavière dont la fille, Elsbeth, doit épouser le prince de Mantoue afin de sceller la paix entre les deux états. Fantasio séduit Elsbeth et s’amuse à déjouer les projets du roi et du prince qui a pris l’identité de son aide de camp. S’ensuivent diverses péripéties au bout desquelles Fantasio est jeté en prison après avoir rallumé les hostilités entre les deux monarques. Mais tout finit par s’arranger, le conflit est évité, Fantasio est libéré et devient roi de la fête des fous qui conclut l’histoire dans un joyeux éloge de la paix.
Le retour de Fantasio au répertoire du théâtre où il fut créé s’effectue sur la scène du Châtelet, la salle Favart étant encore en travaux. C’est une équipe de chanteurs, jeunes pour la plupart, sous la houlette d’un jeune metteur en scène qui a été réunie pour l’occasion. Les seconds rôles sont tous remarquablement tenus. Citons Alix Le Saux, Flamel pleine de fantaisie, et le trio formé par Philippe Estèphe, Enguerrand de Hys et Flannan Obé, irrésistibles de drôleries, excellents acteurs et chanteurs émérites qui font du début du premier acte un grand moment de comédie. Jean-Sébastien Bou campe un prince de Mantoue haut-en couleurs, maladroit autant que poltron avec une voix solide et homogène tandis que son acolyte Loïc Felix dont le timbre clair ne manque pas de charme excelle dans le rôle de l’aide de camp reconverti en prince. Franck Leguérinel propose un roi de Bavière truculent dont la voix parlée est aussi bien projetée que la voix chantée. Tous ont une diction claire et facilement compréhensible de même que les excellents chœurs de l’ensemble Aedes. La princesse Elsbeth, touchante et espiègle à la fois, de Marie-Eve Munger convainc sans peine. Si l’on oublie quelques sonorités acides dans le registre aigu, son timbre lumineux de soprano léger séduit d’emblée et forme un contraste bienvenu avec la voix chaude et sensuelle de Marianne Crebassa, homogène sur toute la tessiture. Couronnée récemment aux Victoires de la musique, la mezzo-soprano qui allie une ligne de chant impeccable à des dons indéniables pour le théâtre, brûle littéralement les planches. Son Fantasio est crédible de bout en bout, dommage que sa diction ne soit pas toujours très intelligible.
Si l’ensemble de la distribution a été longuement et chaleureusement applaudie, c’est une véritable ovation qui a accueilli le metteur en scène et son équipe, la chose est assez rare à Paris pour être signalée. Le travail de Thomas Jolly est en effet d’une grande ingéniosité. Le rideau se lève sur un décor aux couleurs sombres, une sorte de place avec des façades obscures qui laissent entrevoir la silhouette d’un château sur fond gris clair et le spectacle s’achève dans une apothéose de couleurs lors de la fête des fous où les figurants portent des costumes bariolés. Un grand escalier au centre, divers praticables sur roulettes, une prison dont les barreaux forment un cercle, viennent compléter le dispositif scénique dans lequel les déplacements des personnages sont réglés au cordeau.
Au pupitre, Laurent Campellone dirige avec une belle énergie et des tempos rapides cette partition luxuriante, sans éviter toutefois quelques pesanteurs dans les ensembles qui concluent les actes, notamment le troisième.