Mélologue – mélange de déclamation et de musique – dans sa version originelle en 1832, puis monodrame lyrique lorsque Berlioz révise la partition en 1855, Lelio ou Le Retour à la vie est un drôle d’ouvrage, composé sous influence amoureuse – sa liaison puis rupture avec la pianiste Camille Moke – et voulu, sous le nom d’Episode de la vie d’un artiste, comme le « complément et la fin » de la Symphonie fantastique. La réunion des deux œuvres en un même programme se conforme à la volonté du compositeur.
Sur un melting-pot de textes écrits à partir de fragments de lettres et de souvenirs, Hector Berlioz appose une musique empruntée en partie aux cantates du Prix de Rome. Six pages d’une trentaine de minutes au total, forment une trame composite pour ténor, baryton, chœur, piano et orchestre tandis qu’un récitant entre chaque numéro se charge d’unifier le propos. Désillusion, désespérance, mélancolie tissent les fils d’un romantisme que l’on peut résumer à l’aide des vers célèbres de Lamartine : « Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !».
François-Xavier Roth, à la tête de son ensemble Les Siècles, se plaît à déchaîner l’orage invoqué. Après une Symphonie Fantastique à la modernité paradoxalement exacerbée par l’usage d’instruments anciens, l’orchestration audacieuse de Lelio offre l’occasion d’élargir encore la palette expressive. Le résultat est éblouissant. Un savant jeu de timbres et de contrastes conjure l’acoustique de la grande salle de la Philharmonie, peu favorable aux voix. A défaut de pouvoir rendre invisibles l’orchestre, le chœur et les chanteurs, conformément au souhait de Berlioz, le ténor est placé au cœur de l’orchestre puis exilé au premier balcon.
La technique de Michael Spyres se prête idéalement à une partition que l’on imagine pensée à la mesure d’Adolphe Nourrit, le ténor de référence à l’époque de sa composition. L’usage accompli de la voix mixte redonne vie aux deux pages qui lui sont dévolues, trop souvent entendues et enregistrées dans un style inapproprié. A cette adéquation stylistique s’ajoutent une maîtrise parfaite de la langue française et une intelligence du texte perceptible à travers les innombrables nuances dont Michael Spyres sait être prodigue, le tout sans impression d’effort, ni duretés, avec un naturel confondant.
Le baryton n’a pour briller que la Chanson des brigands, en un numéro avec chœur d’hommes proche de la scène de la taverne dans La Damnation de Faust. Florian Sempey mène sa petite troupe avec la faconde qu’on lui connaît. La diction couplée à l’énergie comique fait merveille tandis que s’esquisse le Fieramosca dans Benvenuto Cellini que le chanteur bordelais pourrait un jour avoir raison d’ajouter à son répertoire.
Le National Youth Choir of Scotland rappelle, s’il était besoin, la vitalité de la tradition chorale en Grande-Bretagne. La plénitude du son, pupitres séparés ou confondus, n’entrave jamais la compréhension du texte.
Entre chaque pièce musicale, Michel Fau déclame ses monologues avec l’emphase exigée par le lyrisme exacerbé de la prose berliozienne, sans cependant ne jamais sombrer dans la caricature ou le ridicule.