Les Rencontres Musicales d’Évian commémorent cette année le centenaire de la disparition de Gabriel Fauré avec une très belle intégrale de sa musique de chambre en cinq matinées, complétée par son Requiem, donné dans le cadre enchanteur de la Grange au Lac.
Ce théâtre tout de bois clair, à l’excellente acoustique, s’enorgueillit qui plus est d’un sublime fond de scène composé de six grands lustres à pampilles devant un écran de troncs de bouleaux démultipliés par des miroirs dans un contraste entre baroque et brutalisme d’une folle élégance. La scène en a été récemment agrandie pour accueillir des formations orchestrales plus conséquentes tandis que son architecte, Patrick Bouchain – à qui l’on doit également le théâtre Zingaro – construit actuellement une seconde salle à la jauge plus réduite avec les mêmes préoccupations acoustiques, esthétiques et environnementales afin d’accueillir dès fin 2025 musique de chambre, jazz et enregistrements.
Renaud Capuçon est le directeur artistique du festival depuis l’an passé et celui de Orchestre de Chambre de Lausanne depuis 2021. Il s’est donc tout naturellement tourné vers cette formation – à un coup d’archet de l’autre côté du lac – pour cette superbe soirée dont le thème funèbre le dispute à l’élan vital.
La première partie du concert met en lumière Polyptyque de Franck Martin, crée il y a cinquante et un ans, juste avant le décès du compositeur. L’œuvre pourrait être décrite comme un concerto pour violon retraçant six moments clefs de la Passion du Christ, des Rameaux jusqu’à la Résurrection. Renaud Capuçon dirige donc depuis son instrument, d’une battue nerveuse et percutante, ajoutant le défi supplémentaire d’un dialogue entre deux orchestres à cordes.
Les différentes voix – le violon incarnant le Christ, l’un des orchestres représentant les apôtres tandis que l’autre personnifie la foule – se répondent dans une spatialisation très efficace et déjà s’impose un somptueux travail de la pâte sonore qui nous accompagnera tout au long du concert dans un jeu de couleurs oscillant du tellurique au céleste. Chaque frottement, chaque dissonance est souligné sans lourdeur pour donner plus de chair à cette narration silencieuse avant une résolution océanique.
© Matthieu Joffres
Les mêmes qualités président à la seconde partie de la soirée, alors que l’excellent Ensemble Vocal de Lausanne rejoint la formation orchestrale. Les trente-trois chanteurs proposent d’abord une Pavane toute de délicatesse. La diction est limpide, chaque ligne musicale se cristallise de clarté sans jamais priver le son de la chair et du gras requis.
Après le charme de cet intermède à la grâce proustienne, le Requiem confirme toutes les qualités déjà entrevues avec, quatre pupitres aussi justes qu’équilibrés, unis dans une écoute affûtée du chef et de l’orchestre. Le son est rond, les finales impeccables tout comme le soutien – y compris dans les pianissimi –, les contrastes travaillés en orfèvres sans nuire au beau legato qui fait planer la ligne musicale comme dans le « Kyrie ».
La direction, pleine d’intelligence et de sensibilité, dénote une fine imprégnation de la partition.
« L’Offertoire » conserve la même limpidité avec ce si beau crescendo, amené comme une respiration du flux musical. Benjamin Appl y porte sans effort son séduisant baryton à l’émission claire et naturelle. Il intervient avec une étonnante implication, balayant le public du regard comme pour le prendre à témoin. La même force de conviction préside ensuite à son « Libera me ». Siobhan Stagg partage ce même souci dans son « Pie Jesu » qui profite d’un timbre lumineux à souhait, ainsi que d’un joli sens de la ligne vocale, même si la bouche bizarrement fermée semble inutilement coincer la mâchoire dans toute la première partie de l’air.
Ceci dit, la part belle de cette partition revient au chœur et à l’orchestre plus qu’aux solistes, peu sollicités. De ce point de vue, « Sanctus » et « Agnus Dei » s’avèrent particulièrement poignants entre fortissimi jubilatoires saturés d’enharmoniques, contrastes de couleurs, de nuances, puissants mais toujours élégants. Tout cela jusqu’à la tendresse indicible du « In Paradisum » final.