Hasard ou calcul ? En programmant cette production du Faust de Gounod pour la Semaine Sainte l’Opéra de Monte-Carlo semble abonder dans le sens du compositeur, pour qui la rédemption de la pécheresse constitue le sommet et la fin de l’opéra. On pourrait certes s’interroger sur les fleurs de lys brandies autour de la dépouille de l’infanticide repentie et fraîchement sauvée, quand Nicolas Joel choisit de faire sortir piteusement Faust à l’injonction de Méphistophélès, alors qu’à l’origine il devait lui aussi s’agenouiller devant la nouvelle bienheureuse. Mais ne chipotons pas : le tableau est beau et recueille un franc succès. Le reste de la mise en scène, créée à Toulouse en 2009 et reprise par Stéphane Roche, respecte étroitement sinon la lettre du moins l’esprit de l’œuvre. Ainsi le rire dément qui secoue Marguerite après la mort de Valentin n’est pas inscrit dans les didascalies, mais il est à sa place puisqu’une scène de folie était initialement prévue. L’ancrage temporel à l’époque de la création, indiqué par les costumes de Franca Squarciapino et par la serre stylisée conçue par Ezio Frigerio pour tenir lieu de jardin, selon la vogue à l’orée de l’ère industrielle, renforce le message final. En effet, loin d’être une option à intention décorative cette mise en relation de l’œuvre avec la société de son temps aboutit à lui donner une portée démonstrative. En 1859, à l’heure où le christianisme est menacé par le scientisme et le relativisme, le salut de Marguerite prouve pour Gounod la valeur d’une foi où même les crimes les plus affreux peuvent trouver leur pardon, quand le repentir est sincère.
On peut néanmoins douter que ce soit la portée religieuse de l’œuvre qui ait assuré son succès durable, au fur et à mesure que l’indifférence ou l’impiété devenaient des choix moraux respectables. A Monte-Carlo, la question ne se pose pas : la lecture musicale qu’en donne Laurent Campellone, avec un orchestre superlatif, est de celles qui subjuguent sans retour ! Dès l’introduction il sait moduler les intensités, jouer avec les couleurs des timbres, établir des contrastes en restant subtilement nuancé, tant et si bien qu’il rend à la musique comme une fraîcheur inédite et restitue à l’auditeur le plaisir oublié de pages rabâchées. Sans cesse en éveil il indique, montre, maintient un tempo soutenu qui évite les possibles pompiérismes, et porte sans faillir l’édifice, à l’unisson des musiciens survoltés qui le saluent chaleureusement à chacune de ses entrées dans la fosse. Leur bonheur, ils nous le renvoient sans mélange ! La dynamique adoptée n’est pas toujours confortable pour les artistes du chœur, mais si la question se pose une fois, c’est que toutes les autres interventions séduisent et comblent, et l’on reconnaît la « patte » de Stefano Visconti dans cette préparation au cordeau.
Marguerite (Marina Rebeka) Dame Marthe (Christine Solhosse) Méphistophélès (Paul Gay) et Faust (Joseph Calleja) © Alain Hanel
Dans l’acoustique impitoyable de la salle Garnier, les voix sont comme surexposées. C’est sans conséquence pour le Wagner de Gabriele Ribis la Dame Marthe de Christine Solhosse, qui trouve la juste mesure pour un personnage facilement caricaturé. Le Siebel d’Héloïse Mas est convaincant scéniquement et séduisant vocalement, grâce à un timbre ambré et à un chant constamment maîtrisé. Ce serait un sans faute pour le Valentin de Lionel Lhote s’il renonçait à quelques ports de voix appuyés dans sa première scène, car ces accents nous semblent relever d’une tradition surannée ; mais ces réserves ne sont rien si on les rapporte à l’impact de la voix et à son étendue, démontrée avec éclat au quatrième acte. En revanche, la prestance scénique de Paul Gay ne suffit pas à lui donner les graves qu’il n’a pas ; son « Veau d’or » tombe dans un silence poli, et la voix paraît dépourvue de résonances et d’harmoniques. Il retrouvera par la suite un peu de l’épaisseur souhaitable mais l’ensemble de sa prestation de ce 27 mars ne nous laissera pas un souvenir impérissable.
Avec Marina Rebeka on touche du doigt, pour ainsi dire, l’humaine fragilité des chanteurs. Elle a séduit avant l’entracte par un chant assez virtuose pour donner à sa composition l’accent de sincérité nécessaire à l’émotion. L’élocution est bonne, le français aussi, et la tenue de scène convaincante. Après la pause, ce ne sont que des traces, mais on perçoit un léger engorgement, et pour le surmonter peut-être force-t-on un peu, alors des reflets métalliques apparaissent qui durcissent les aigus. C’est très peu de chose, cela n’est pas continu et cela n’altèrera pas l’éclat de l’ascension finale. Mais la pureté de l’émission aux deuxième et troisième actes flottera pour nous comme un regret.
Pour Joseph Calleja, la maîtrise du français n’est pas entière, et c’est dommage qu’au premier acte souvent les couleurs des voyelles semblent se hérisser, et l’expressivité est compromise alors même que le chanteur met toute sa science à nuancer le plus possible sa partie et à doser strictement la puissance de l’émission. Globalement, le compte y est, l’intention dramatique est juste, mais la musique des mots pas toujours. Cela s’améliore par la suite, et on goûte mieux le timbre prenant, un contrôle assez efficace du vibrato qui caractérise ce chanteur depuis ses débuts, et les moyens et le savoir technique dont témoigne l’émission des aigus, du meilleur goût. Reste aussi une apparence physique qui est plus celle d’un homme mûr que celle d’un jeune homme, ce qui ne favorise pas le personnage. Aux saluts, l’absolution sera générale. Peut-être un effet de la Semaine Sainte ?