Comme on aime, à l’opéra, assister à la confirmation d’un talent. Réaliser que la chrysalide déjà remarquée ça et là est devenue papillon. Vivre la rencontre aboutie entre un rôle et un artiste, le premier agissant comme le révélateur du second ; et réciproquement. Cette émotion, qui fait partie de celles que tout amateur d’art lyrique pourchasse inlassablement au gré de ses déambulations nocturnes, Nicolas Testé nous l’offre dans une nouvelle production de Faust à l’Opéra de Tours. Enfin, un Méphisto ébouriffant de jeunesse, ni barbon charbonneux, ni baryton sulfaté, mais un diable alluré confortablement installé dans une voix de basse épanouie, éloquente et sonore qui, dans un français parfait, rend justice à tous les écarts de la partition, qu’elle caresse les sommets de la tessiture ou au contraire se perde en ses tréfonds. Nicolas Testé n’occupe pas la scène, il l’habite de la même façon qu’il ne pousse pas des notes mais les enveloppe de sens (jusqu’à simuler à bon escient le bégaiement dans la scène de l’église, sur la phrase « Lorsque tu bégayais une chaste prière »). Ainsi, le démon imaginé par Gounod abandonne sa queue fourchue et ses airs goguenards qui nous le rendaient presque sympathique, pour prendre une autre dimension, plus séduisante et, par là même, plus inquiétante.
Evidemment, un tel Méphisto ne peut que projeter une ombre équivoque sur ses partenaires. Il y a pourtant peu à redire d’un plateau dont le premier des atouts est une science de la prononciation qui rend l’usage des surtitres superflus (et Dieu sait si cela est appréciable chez Gounod quand on connait son art de la prosodie).
Deuxième atout : des seconds rôles remarquables qui ne se contentent pas de jouer les utilités mais qui, dans le peu de temps qui leur est imparti, réussissent à dessiner leur personnage. Ainsi, Marthe Keller croque une Dame Marthe réjouissante et Ronan Nédélec apporte à Wagner un relief inhabituel. En Siebel, Julie Robard-Gendre a du mal à maîtriser une voix trop large pour le rôle mais le portrait qu’elle offre du jeune amoureux de Marguerite est touchant de maladresse. On remarque aussi le Valentin prometteur d’Etienne Dupuis. L’attaque est parfois instable et la partition tendue pour une voix aussi jeune mais le baryton possède dans le ton une insolence et dans le timbre un toucher soyeux qui retiennent l’attention.
Tout compte fait, ce sont les deux protagonistes de la pièce qui emballent le moins, peut-être parce que le disque nous a habitué dans les rôles de Faust et de Marguerite à l’excellence. On a connu en effet soprano plus captivant que Rie Hamada. La chanteuse japonaise sait sur les bouts des doigts un rôle qu’elle a déjà présenté plusieurs fois en France. Est-ce une raison pour que l’interprétation, avec ses raideurs et ses aigus vitriolés, ne s’écarte jamais d’une certaine routine ? A une exception près, et de taille : la scène de la prison où la cantatrice apporte enfin ce supplément d’âme qui fait de Marguerite l’une des héroïnes les plus saisissantes de l’opéra français. Le génial flash-back où la jeune femme, face à la mort, revit son modeste destin ne peut laisser insensible quand il est brossé, comme ici, avec une telle force de conviction. De même, le chant de Luca Lombardo, avec sa belle franchise, nous vaut quelques instants mémorables. Mais, sur la durée, son Faust en mal d’héroïsme, privé de teintes et de demi-teintes, remplit son contrat sans faire d’étincelles. Le jeu de l’acteur, introverti, ne vient pas en aide au chanteur.
La mise en scène de Paul-Emile Fourny, très respectueuse de l’œuvre, n’offre pourtant rien de contraignant qui puisse brider les solistes. L’action, transposée à l’aube de la première guerre mondiale, se déroule dans un parti pris esthétisant à la Murnau. Le noir et le blanc dominent sans partage, avec une seule concession au rouge lors de la scène de Walpurgis.
Les couleurs, c’est dans la fosse qu’il faut les chercher. Sous la direction de Jean-Yves Ossonce, l’Orchestre Symphonique Région Centre-Tours s’épanouit comme un champ de crocus au soleil de printemps. Choix a été fait d’une version quasi-intégrale qui délaisse le ballet mais n’oublie pas la scène du rouet avec la romance de Siebel, « Si le bonheur à sourire t’invite », rarement pour ne pas dire jamais donnée. Comment ne pas s’en réjouir quand l’interprétation, plus dramatique que romantique, révèle une orchestration éloignée de tout consensus sulpicien. Quelques accélérations discutables mettent le chœur en danger, notamment au deuxième acte, mais l’ensemble reste toujours intéressant. L’oreille, aimantée par cette lecture protéiforme, a du mal à se détacher de l’orchestre. Fait rare d’ailleurs et significatif, une fois le rideau tombé, avant même que les chanteurs ne viennent saluer, le chef invite le public à applaudir un par un les instrumentistes, ainsi que le veut l’usage à l’issue d’un concert mais rarement d’un opéra. Et dans le cas présent, ce n’est que justice.