Selon toute vraisemblance, le bicentenaire de la mort de Napoléon devrait être commémoré avec plus d’éclat que le deux cent-cinquantième anniversaire de sa naissance, qui est passé presque inaperçu. Quelques manifestations se profilent déjà à l’horizon, mais la ville de Florence a eu l’excellente idée de monter, pour son ouverture officielle de saison, l’opéra napoléonien par excellence, le mythique Fernand Cortez de Spontini. Commandé par l’empereur, sur un livret dont les auteurs avaient été choisis par l’empereur, créé en 1809 avec un faste inimaginable, cet opéra devait servir des fins de propagande alors que Napoléon venait de conquérir l’Espagne. Comme d’autres œuvres de Spontini, la partition fut entièrement révisée pour les reprises ultérieures, à Paris ou en Allemagne, et l’on ne connaissait plus guère que les différentes versions élaborées entre 1817 et 1838, où les modifications vont jusqu’à changer l’ordre des actes, comme nous l’expliquait récemment en interview le chef Jean-Luc Tingaud, chargé de mener à bien cette résurrection… Revenir à l’original était donc un projet louable, et le résultat s’avère impressionnant, même s’il est permis d’espérer que l’on pourra aller plus loin dans l’exploration.
Offrir une version scénique était un choix courageux, et sur ce plan, la réussite est réelle. On souhaite que les théâtres français proposent aussi bien s’ils veulent remonter l’œuvre en 2021. Le spectacle ne cherche pas à être révolutionnaire, mais il possède de grandes qualités esthétiques que l’on qualifierait presque de typiquement italiennes, tant certains contrastes de couleurs et certains effets visuels rappellent Pier Luigi Pizzi à son meilleur. Néanmoins, Cecilia Ligorio a voulu proposer une réflexion sur la manière de raconter l’Histoire, d’autant plus judicieuse qu’il s’agit d’une œuvre « officielle » à la gloire d’un souverain. Elle met donc en exergue le bras droit de Cortez, un certain Moralez, dont le rôle chanté n’est pas très développé, mais qui devient ici le narrateur de toute l’affaire, s’interrogeant sur le sens donné a posteriori aux événements et sur la manière dont tout récit infléchit le sens du passé en propulsant les uns au statut de héros, les autres à celui de victimes.
© Maggio Musicale Fiorentino
Dirigée avec amour par Jean-Luc Tingaud, la partition justifie toute l’admiration qu’elle inspirait à Berlioz. C’est déjà le grand-opéra à la française que l’on entend ici, avec sa pompe et ses scènes de foule, mais Spontini assume aussi tout l’héritage de la déclamation gluckiste. Pour le sacrifice humain du dernier acte, le compositeur s’est autorisé des hardiesses stupéfiantes, et même le très long ballet du premier acte frappe par sa modernité. Sans doute l’acoustique du nouvel opéra de Florence n’est-elle pas la plus propice à la perception des finesses de l’œuvre, car dans une salle aussi vaste, il faut un peu grossir le trait, et les chanteurs ne sont pas non plus épargnés par ce problème.
Pour l’auditeur francophone, se pose évidemment la question de la langue, et les premières minutes laissent craindre le pire : on ne comprend pratiquement pas un mot de ce que chante le chœur, faute d’une diction assez claire pour porter le texte. C’est un grand soulagement quand apparaît le seul Français de la distribution, Luca Lombardo, dont l’articulation fait aussitôt plaisir à entendre : pour tout ce qui est déclamé, le ténor fait merveille, même si on regrette une certaine inadéquation entre le personnage, animé d’une violente haine envers l’envahisseur espagnol, et le naturel de l’artiste, à un stade de sa carrière où il n’a plus tout à fait la véhémence qu’on voudrait, dans l’aigu surtout. Dans le rôle-titre, Dario Schmunck se tire très honorablement des difficultés liées précisément à cette déclamation venue de la tragédie lyrique, Cortez n’ayant en fin de compte pas de grand air au sens strict. Le personnage central, c’est en fait Amazily, la princesse mexicaine dont le conquérant est épris et qu’il aime en retour : à elle, les airs, à elle, les actes d’héroïsme et de noble sacrifice. Alexia Voulgaridou possède une voix opulente, aux riches couleurs sombres, qui sait exprimer une large palette d’émotions, mais son chant s’apparente bien plus à l’école italienne qu’au style français, ce qui est un peu regrettable. A Moralez, Gianluca Margheri offre une véritable présence scénique et un timbre d’une belle noirceur. Si David Ferri Durà est bien la haute-contre qu’appelle le court rôle d’Alvar, frère de Cortez, on regrette que l’Américain André Courville, malgré son nom à consonance francophone, ne soit pas toujours aussi intelligible qu’on le voudrait en grand-prêtre.