De son propre aveu, la soprano belge Jodie Devos (25 ans) ne s’attendait pas à figurer parmi les lauréats du Concours Reine Elisabeth. Elle n’avait donc pas imaginé remporter, en plus du 2e Prix, celui du public de Musiq 3. Or, la chaîne de radio classique avait prévu, de longue date, d’inviter l’heureux (se) élu (e) à se produire dans le cadre de son festival, le dimanche 29 juin, à Flagey (Studio 1). C’est sans doute la raison pour laquelle le programme de Jodie Devos ignorait le fil rouge de cette année, à savoir le Danube. Curieux programme, en fait, où Vorrei spiegarvi oh Dio jouxte des mélodies de Schubert, Strauss, Fauré, Debussy, Bridge et, nettement moins courues, Poldowski et Schwantner accompagnées par le pianiste Daniel Thonnard.
La chanteuse parait plus prudente et moins rayonnante qu’en finale dans l’air de concert de Mozart, il est vrai desservi par cette réduction pour piano, et ses Debussy, aussi spirituels soient-ils (Pierrot), pâtissent quelque peu de la mollesse de la diction. Par contre, le soprano allège opportunément une émission parfois trop appuyée et déploie des trésors de sensibilité dans les trois pages de Verlaine (Dimanche d’avril, Bruxelles, En sourdine), d’une émouvante simplicité, habillées par Irène Poldowski, fille du célèbre violoniste Henryk Wieniawski et elle-même pianiste. Aux antipodes de Strauss fougueux et revigorants (Fünf lieder, op. 48), les lunaires Black Anemones de Schwantner dispensent leur parfum obsédant et semblent confirmer le goût de l’artiste pour la musique américaine dont les art songs sont rarement données de ce côté-ci de l’Atlantique. De là à espérer que Jodie Devos marche sur les traces de Dawn Upshaw et partage son éclectisme, il n’y a qu’un pas que nous franchirons en croisant les doigts !
Un peu plus tôt dans l’après-midi, le Studio 4 accueillait l’orchestre baroque du Conservatoire de Bruxelles placé sous la conduite du claveciniste Paolo Zanzu avec en vedette le ténor Reinoud Van Mechelen pour évoquer l’Italie à la Cour des Habsbourg, Caldara, Vivaldi et Conti inscrivant le récital dans la thématique du festival. Le format des concerts de cette manifestation qui en aligne une cinquantaine en quatre jours est strictement limité à une heure et contraint malheureusement le soliste à jeter son dévolu sur une poignée d’airs brefs, n’était celui de Narete dans La fida Ninfa de Vivaldi (« Non tempesta »), seul bis qu’il s’autorise à offrir et semble aborder avec une liberté nouvelle, mais qui ne suffit pas à combler notre attente. La frustration est d’autant plus grande que nous n’avions encore jamais eu l’occasion d’entendre Reinoud Van Mechelen, un des ténors hautes-contre les plus recherchés du moment, dans ce répertoire qui, certes, flatte moins ses aigus melliflues, mais sollicite d’autres ressources tant vocales qu’expressives.
La tessiture plus centrale de ces extraits d’opéras (Don Chisciotte de Conti) et d’oratorios (Joaz, Maddalena ai piedi di Cristo de Caldara) révèle tout d’abord l’homogénéité et la sûreté d’un instrument aux assises solides. Dans un entretien qui paraitra à la rentrée, Reinoud Van Mechelen, qui n’a que vingt-sept ans, nous confie ne pas faire partie de ces chanteurs dont la souplesse naturelle de l’organe le prédispose à la virtuosité. Sa vocalisation affiche pourtant une légèreté et une élégance irrésistibles. Les nuances et ornements qui caractérisent les reprises participent d’un raffinement expressif qui ne surprendra pas les admirateurs du ténor. Chez Caldara (« Ride il ciel ») ou Conti (« Qui sto appeso »), nous retrouvons cette lumière, ce naturel et cette grâce qui nous avait saisi à Versailles, dans Les fêtes de l’Hymen et de l’Amour. Certains accents passionnés trahissent aussi un tempérament qu’il nous tarde de découvrir plus avant et qui devrait sans aucun doute s’épanouir dans les années à venir.
Les prestations d’élèves nous inclinent généralement à l’indulgence : inutile d’user de précautions, en l’occurrence, car les étudiants du Conservatoire du Bruxelles, dont certains ont déjà commencé une carrière, signent une performance plus qu’honorable. Si la retransmission en direct des concerts, qui s’enchaînent à un rythme soutenu, limite les possibilités de bis, par contre, Musiq3 a eu l’excellente idée de permettre aux festivaliers de repartir, pour une somme plus que modique, avec une clé USB reprenant le ou les concerts de leur choix.