Suite aux attaques terroristes du 13 novembre, il parait que certains invités du Festival Terpsichore ont préféré renoncer à ce concert en l’église Saint-Louis-en-l’Île. Pas envie de musique, respect du deuil, peur de sortir… Peu importe. Cette soirée aurait-elle eu le même impact si quelques jours auparavant plus de cent-vingt personnes n’avaient été abattues de sang froid en plein Paris par une poignée de fanatiques ? Dans un lieu empreint d’histoire et de spiritualité, le programme prend une dimension cathartique. De calme à peu agité, le tempo égal de ces partitions aurait pu en d’autres temps nous plonger dans un de ces doux ennuis qu’engendre une certaine uniformité de ton. Mais ce soir, toute vivacité paraîtrait déplacée. Si mesurés soient-ils comparés à d’autres, les rebonds du neuvième concerto Brandebourgeois semblent déjà trop allègres. Bach pourtant, peut-on imaginer plus respectable ! De fait, ce n’est pas dans ces pages recomposées par Bruce Haynes à partir de morceaux de cantates que l’Helsinski Baroque Orchestra nous laisse le meilleur souvenir, sans que les musiciens soient d’ailleurs en cause. Il y a dans ces trois mouvements, adagio central inclus, un élan inadapté à l’état d’esprit qui prévaut en ces jours endeuillés. Händel même, conduit pourtant d’un geste infaillible, s’avère trop bavard. Et l’air de Tirinto, extrait d’Imeneo, tout comme celui de Belshazzar, trouve Valer Sabadus à court d’expression et d’aigu.
Ce sont les pièces de Purcell, réunies en ordre dispersé, qui nous plongent dans le bain lustral. La solennité des cuivres placés dans la tribune, les sonorités claires de l’orchestre, sans aigreurs et sans emphase, la battue sereine de Skip Sempé, le chant céleste de Valer Sabadus, lui aussi dépourvu d’acidité, comme contrepoisons à la violence du monde. « O let me weep » (Oh, laissez-moi pleurer), la plainte de The Fairy Queen, prend valeur de prière universelle. Lui répond, consolateur, « Dry those eyes » (sèche ces yeux). Pouvait-on trouver mots plus justes et timbre plus approprié que celui d’un contre-ténor pour porter cette parole. La voix de Valer Sabadus apparait plus incarnée qu’elle ne l’était dans notre souvenir. Le son s’il est moins pur, reste cependant suave. Dans sa quête d’ampleur, la projection est encore timide en dessous d’un certain seuil mais les écarts de registres sont autant d’occasions de rechercher de nouvelles couleurs. Plus tard, Haendel confirmera ce que Purcell avait suggéré : à la virtuosité, au trille souvent esquissé, le contre-ténor préfère la déploration, un recueillement qui n’interdit pas l’animation. Si les pieds restent rivés au sol, la main s’agite, le corps balance, le chant vit.
Chez Vivaldi, l’écriture de « Sovente il sole » n’est pas des plus confortables pour une voix courte même si haut placée. Mais Tuomo Suni compense alors par la beauté de son violon éploré tout ce que le contre-ténor ne peut exprimer, refermant dans un frisson doloriste une soirée en forme de prière, que la reprise de « Here the deities approve » prolonge inutilement.
Festival Terpsichore 2015, jusqu’au dimanche 22 novembre (plus d’informations)