Donné à Rennes au printemps 2017, avec une distribution vocale identique, à Florestan près, on était en droit d’attendre de cette reprise de Fidelio un engagement renforcé des solistes. Las, les coups du sort, les faiblesses de la direction et de l’orchestre, les insuffisances de la direction d’acteurs comme celles de certains chanteurs ont altéré le spectacle. Un rideau de scène qui s’arrête à un peu plus d’un mètre du sol, voilà qui est fâcheux pour commencer le premier duo. D’autant que cet incident intervient après une ouverture décevante, bâclée. Rocco, manifestement à la peine au premier acte, dont on annonce que, souffrant, il accepte néanmoins d’assurer le second, il y a de quoi déstabiliser les interprètes.
L’ouvrage se prête difficilement à la mise en scène, avec ses très nombreux ensembles, relevant parfois davantage de l’oratorio que de l’opéra. Cependant la caractérisation de chacun des acteurs du drame ne saurait relever que de leur seule production vocale. Philippe Miesch, dont c’est la première mise en scène, oppose naturellement l’obscurité à la lumière. De grands panneaux – dont les noirs mats ou brillants suggèrent l’univers de Soulages, comme le signalait justement Tania Bracq – où portes et guichets s’ouvrent selon les besoins, le procédé est banal et fait aussi penser à un calendrier de l’Avent. Les costumes sont contemporains, neutres, exceptés les uniformes peu seyants de la pénitentiaire que portent Fidelio et Jaquino. Les vêtements des artistes du chœur, avec quelques touches colorées judicieusement, permettent ainsi de réaliser de beaux tableaux à la faveur de leurs interventions. La dramaturgie reste superficielle, les caractères manquent de profondeur. Seuls Fidelio et Marcelline tirent vraiment leur épingle du jeu. Vocalement, déjà, scéniquement ensuite, malgré le jeu outré imposé à Fidelio (qui se retient au balai pour ne pas défaillir, qui prend la salle pour cible comme je ne sais quelle policière de l’anti-gang).
Epanouie, tonique, familière de l’emploi, Claudia Iten est Fidelio. Son air « Komm Hoffnung », attendu, serait un sommet si l’orchestre ne s’y montrait médiocre, en dehors du premier cor, remarquable. Nous avons affaire à une authentique soprano lyrique, aux accents wagnériens, même si, parfois, les aigus sont couverts. Dramatiquement, il est légitime de s’interroger sur la séduction que ce travesti déguisé en maton peut exercer sur Marcelline. Personnalité équivoque, au goût prononcé pour l’argent, exécutant docile du tyran mais refusant d’assumer le crime, père aimant, partagé entre l’obéissance servile et la compassion, Rocco est complexe. On se souvient du wagnérien puissant (Fafner, Hunding, Hagen) qu’était Christian Hübner au Ring de Dijon. Las, si la voix a conservé ses graves profonds, elle semble fragile, faiblement articulée. Son unique air « Hat man nicht auf Gold beineben » souffre de problèmes vocaux bien réels. Malgré une sérieuse bronchite, le chanteur sauve la production acceptant de chanter le second acte. La direction d’acteurs réduit ce Rocco à sa plus simple expression. D’autre part, comment croire un instant à la scène où le colosse se dit impuissant à soulever la pierre de la citerne sans l’aide de Fidelio ? N’était son évidente bonne santé, qui contredit les privations et l’épuisement physique imposés par Pizarro, Donald Litaker compose un Florestan vocalement de belle tenue. « In des Lebens Frühlingstagen » est convaincant. Saluons aussi le redoutable Sol tenu de l’incise de son récitatif d’entrée, sur « Gott », clair, projeté. Le Pizarro de Anton Keremidtchiev ne manque pas de moyens. Pour autant son autorité, sa morgue, sa noirceur, la haine qui l’anime demeurent quelque peu en-deçà des attentes. Voix idéale, fraîche, souple et puissante, avec des aigus d’une légèreté de rêve, Olivia Doray nous vaut une des satisfactions de la soirée. On se prend à regretter que le rôle de Marcelline soit secondaire et qu’il disparaisse du second acte, en dehors du finale. « O wär ich schon mit dir vereint » est un bijou, les nombreux ensembles auxquels elle participe sont autant de bonheurs. Elle chantera Anna, de la Nonne sanglante, de Gounod, à Favart en juin. A suivre. Jaquino est faiblement caractérisé par le livret et par Beethoven, le rôle apparaît secondaire. Le nôtre, Andreas Früh, remplit correctement son contrat. On devine l’héritage mozartien, mais ce Jaquino paraît bien pâle. Don Fernando, n’apparaît qu’à la dernière scène de cette pièce à sauvetage. Pablo Arranday, jeune baryton d’origine mexicaine, manque d’autorité pour imposer le ministre clairvoyant qui châtie le tyran et rétablit la justice.
La richesse de l’écriture orchestrale échappe pour part à l’audtion tant la lecture est plate, inaboutie. L’orchestre se cherche, approximatif, scolaire, pâteux, aux attaques et finales souvent incertaines. C’est fade, terne, uniforme, brouillon. Erki Pehk nous vaut une direction confuse, fébrile, imprécise et sans âme. Le chef confond dynamique et précipitation. C’est particulièrement flagrant dès la fin jubilatoire de l’ouverture, presto, comme dans le chœur final, où il impose un tempo insoutenable au chœur. Qui serait capable d’articuler le texte à cette vitesse ? La marche annonciatrice de l’arrivée de Pizarro, au caractère fier et autoritaire, est ici souriante, guillerette. Manifestement le courant a du mal à passer avec les musiciens de l’orchestre. Le chœur dont les interventions sont des réussites, est clair, articulé, sonore, d’une grande cohésion, avec des phrasés et une dynamique qu’il faut saluer. L’exigence de Xavier Ribes auquel on est redevable de sa préparation a porté de beaux fruits.
Une distribution très inégale, inappropriée, aux faiblesses nombreuses, une direction et un orchestre calamiteux, une dramaturgie balbutiante, oublions.