Il arrive à l’opéra qu’on puisse voir sur scène le père et son fils chanter le même soir dans la même production comme l’ont déjà fait les deux Quilico (Louis et Gino) dans Il barbiere di Siviglia, l’un Bartolo, l’autre Figaro, deux rôles qui se prêtaient bien à leurs barytons respectifs. L’Opéra de Montréal (OdM) reprend l’idée et l’adapte à Faust de Gounod en faisant appel à deux ténors, Guy Bélanger (le père) et Antoine Bélanger (le fils) pour le rôle éponyme. Pour cette série de représentations, les deux chanteurs se prêtent au jeu et incarnent simultanément le personnage pendant toute la soirée. Solution terriblement boiteuse qui sème la confusion chez le spectateur et qui donne lieu à des situations plutôt navrantes, le vieux Faust chantant ici et là des phrases complètes à la place du jeune et parfois à l’unisson avec lui et Méphistophélès comme à la toute fin du premier acte. Cet insoutenable procédé se répète jusqu’à la fin sauf pour le grand air du 3e acte réservé au plus jeune uniquement comme d’ailleurs toute la scène du jardin. En guise d’innovation, on ne pouvait trouver pire. Une mauvaise bonne idée donc qui gâche notre plaisir pour un spectacle qui pourtant aurait pu s’avérer excellent, le metteur en scène, Grzegorz Jarzina, faisant preuve d’une belle imagination dans la conduite des acteurs. L’action se passe devant de hautes armoires amovibles, servant d’abord de bibliothèque et qui retournées ne sont plus que des colonnes figurant les édifices de la place au deuxième acte et l’église au quatrième. Les troisième et le cinquième actes utilisent le même décor dans une succession de changements à vue. De très beaux costumes, surtout les redingotes des deux Faust et de Méphistophélès, et des éclairages judicieusement contrastés complètent la scénographie.
Sur un plan musical, la grande déception de la soirée se situe du côté de Guy Bélanger dont la voix usée et chevrotante s’accommode très mal des parties qu’il chante. L’impression d’avoir voulu faire plaisir à un artiste en fin de carrière reste bien présente dans notre esprit. Son fils Antoine Bélanger cadre mieux avec l’idée qu’on se fait du personnage. Même si son timbre manque quelque peu de rondeur, il livre une prestation honnête.
Très touchante, Mary Dunleavy incarne une Marguerite fragile. Voix ductile, souple, homogène sur la tessiture, à l’aise sur tous les registres avec des graves bien appuyés dans la scène de l’église. Ce rôle lui va comme un gant : vive et pleine d’enthousiasme dans la ballade et le grand air du troisième, elle livre au quatrième acte un sublime « Il ne revient pas » empreint d’une poignante résignation.
Alexander Vinogradov est véritablement le maître des lieux autant dramatiquement que vocalement. Basse profonde aux superbes harmoniques, il campe un Méphistophélès superlatif. Dès son entrée en scène au premier sa seule présence révèle un irrésistible charisme qui s’exprimera magnifiquement dans « Le veau d’or » et de façon définitive dans un sarcastique « Vous qui faites l’endormie ». Chanteur impressionnant, il conduit brillamment le jeu. À titre d’exemple il tient la main armée de Faust pour frapper dans le dos un Valentin occupé à se libérer des diables qui l’assaillent de toutes parts au moment du duel. Le metteur en scène y est certainement pour quelque chose, mais Vinogradov exécute le mouvement avec un naturel confondant . Un grand Méphistophélès dont la carrière internationale a déjà pris un envol remarquable.
Étienne Dupuis donne un relief inusité au personnage de Valentin, témoignant un peu d’humanité et d’empathie pour sa sœur alors qu’il s’apprête à rendre l’âme. Se redressant devant Marguerite agenouillée, il lui tient tendrement le visage pendant un court moment juste avant de la mettre en garde sur ce qui l’attend ici-bas. Encore une fois la main du metteur en scène est bien présente, mais le jeu lui appartient. La voix est toujours aussi remarquable et gagne en profondeur ; il nous livre un somptueux « Avant de quitter ces lieux » et une scène époustouflante à la fin du quatrième acte.
Siebel est un rôle secondaire, mais Emma Parkinson nous convainc de son importance dans le déroulement de l’action. Si elle poursuit dans la voie qu’elle s’est tracée depuis ses débuts comme stagiaire de l’OdM dans la production de Rusalka (ici même en novembre 2011), son art, plein de raffinement, l’amènera assez vite vers des emplois plus importants. Une carrière à suivre.
Philip Kalmanovitch très en voix en Wagner et Noëlla Huet presque racoleuse en Marthe s’acquittent honorablement de leurs parties.
Le Chœur de l’OdM, toujours en mouvement a encore donné une prestation digne d’éloges. L’Orchestre Métropolitain sous la direction d’Emmanuel Plasson, encore un fils de, s’est contenté d’apporter un soutien adéquat aux chanteurs sans jamais sortir de la bonne routine et sans beaucoup d’éclat. On a vainement attendu qu’il se démarque dans les situations les plus dramatiques en particulier dans la scène de l’église.
Version recommandée
Gounod: Faust | Compositeurs Divers par Michel Plasson