De 1996 à 2004, elle a chanté quelque soixante fois à l’Opéra de Paris. D’abord, Donna Anna pour la réouverture du Palais Garnier et Marguerite dans Faust de Gounod à Bastille ; ensuite cinq autres rôles de rêve : Manon en 1997 et 2001, La Maréchale dans Le Chevalier à la rose mis en scène par Wernicke, Alcina avec Christie ; enfin Rusalka et La Comtesse de Capriccio, deux mémorables réussites de Robert Carsen — présent dans la salle pour cette première d’Arabella où se pressait le tout-Paris.
Après un Otello plutôt discret en 2011, Renée Fleming réussit un retour straussien tout en douceur dans le rôle d’Arabella. Hélas (au premier acte surtout), le manque de projection de son registre central et des quelques notes graves la rend parfois presque inaudible (même au douzième rang de parterre). Si bien que le duo entre Arabella et Zdenka est largement dominé par la voix claire et légère de Julia Kleiter. Circonstance atténuante : le chef fait jouer l’orchestre un peu trop fort. Heureusement, ce ne sera plus le cas dans la deuxième partie et, une fois rôdée, la direction raffinée de Philippe Jordan devrait encore gagner en relief pour restituer les beautés de cette partition tardive, tout en restant dévouée aux chanteurs comme à son habitude. Dans les deux actes suivants, Fleming sait nous reconquérir avec ses aigus lumineux, ses jolies notes tenues et son timbre double-crème qui sont sa marque de fabrique. Si elle a dépassé l’âge du rôle, durant ses scènes avec Mandryka, elle parvient toutefois à trouver des accents juvéniles convaincants, pourvu qu‘elle ne se laisse pas aller à minauder. Pour sa part, Julia Kleiter (qui sera cet été Pamina à Salzbourg et fera sa prise de rôle de Donna Elvira à Zurich en 2013) est une Zdenka très attachante qui se fait remarquer par un fort engagement dramatique. Le troisième rôle féminin, Adélaïde, est tenu avec tact par Doris Soffel, élégante mezzo rompue au répertoire straussien. Notons aussi l’abattage vocal de la soprano colorature Iride Martinez (Milli la Commère) qui mène au fouet la danse du bal des cochers avec sa tyrolienne accompagnée de clarinette et de flûte, incursion dans l’univers de l’opérette apparemment pour le bonheur du public.
Côté chanteurs, on est surtout impressionné par le grand baryton Michael Volle dans Manryka. Il chante superbement et interprète avec cœur ce personnage attachant dont il rend l’évolution perceptible avec beaucoup de finesse. Excelle également la basse Kurt Rydl qui donne au Comte Waldner, joueur invétéré, une solide présence vocale et théâtrale, non dénuée d’humour. Soutenus par une direction d’acteurs soignée, les autres chanteurs à commencer par Joseph Kaiser (Matteo) équilibrent avec talent cette distribution.
Marco Arturo Marelli n’a pas eu la partie facile pour mettre en scène sur le gigantesque plateau de Bastille cette comédie douce-amère qui hésite entre marivaudage et corruption dans une atmosphère de décadence sous-jacente. L’œuvre comprenant davantage de scènes intimistes que d’ensembles spectaculaires, l’effort créatif s’est porté sur la conception d’un décor sinusoïdal épuré, doté de plusieurs hauts panneaux pivotants qui modulent l’espace afin de créer l’illusion de changements de lieu. Quelques rares accessoires et l’utilisation d’un plateau tournant au sol contribuent à la fluidité de l’enchaînement des scènes. D’immenses photos projetées laissent entrevoir à l’arrière plan des façades d’immeubles qui font comprendre que l’on se trouve à Vienne. Un très beau travail de lumière apporte ponctuellement des couleurs fortes à cet univers lisse et vide où le blanc domine. En fin de compte, un monde agréable à l’œil, mais dans lequel on ne saurait pénétrer. Un spectacle consensuel, d’une excellente qualité à la mesure de la grande boutique parisienne.
Version recommandée
Strauss R.: Arabella | Richard Strauss par Bavarian State Orchestra