Après Otello en 2007 et Ermione en 2008, le Rossini Opera Festival continue d’exploiter le filon des opéras napolitains en proposant cette année Zelmira. Sans atteindre toutefois le même niveau de réussite que pour les deux opéras précédents.
Déjà, qu’a bien pu trouver Rossini à Dormont de Belloy, l’auteur de Zelmira, lui qui avait mis en musique auparavant rien moins que Shakespeare (Otello) et Racine (Ermione) ? Une intrigue à couper au couteau, des personnages inconsistants, un contexte historique diffus et pas l’once d’une intrigue amoureuse. Devant la difficulté à représenter cet écheveau de situations, toutes plus invraisemblables les unes que les autres, le metteur en scène, Giorgio Barberio Corsetti, se livre à son passe-temps favori : l’expérimentation de l’usage de la vidéo. Sans que l’expérience, encombrée de tous les poncifs du moment – treillis, mitraillettes, mélange des époques, statues fracassées et miroir réfléchissant – ne s’avère concluante. De ce fatras de moyens, il ne sort pas grand-chose : ni une meilleure lisibilité de l’intrigue, ni une somme d’images marquantes sinon belles, ni vérité, ni émotion. Ne seraient que les yeux, l’on s’ennuierait ferme durant les quatre heures que dure le spectacle.
Zelmira, c’est aussi le dernier des opéras napolitains de Rossini, le bouquet final d’un feu d’artifice vocal et musical qui de 1815 à 1822 vit le compositeur disposer de ressources exceptionnelles pour donner libre cours à son génie : les chanteurs les plus virtuoses, un chœur de 30 personnes, un orchestre de 78 musiciens… Le San Carlo était le seul théâtre lyrique en Italie à disposer ainsi en permanence d’un tel effectif ; les autres salles de la Péninsule faisaient plutôt appel à des artistes saisonniers avec pour conséquence un manque de cohésion et de qualité. Abondance de biens que Rossini sut tous employer pour magnifier son art. Zelmira, en raison de ses dimensions chorale et symphonique, fit dire à Stendhal que « Rossini finira par être plus allemand que Beethoven ». Même si moins novateur que son opéra napolitain précédent, Maometto II, l’ouvrage marque l’aboutissement d’un âge d’or qui réclame, pour en restituer l’exacte splendeur, des gosiers du même métal. D’autant que la version représentée à Pesaro, dite de Paris, ajoute à la partition deux airs tout aussi périlleux que ceux qui la composent à l’origine – « Ciel pietoso, ciel clemente » pour Emma et, à l’intention de Giuditta Pasta pour Zelmira « Da te spero, o ciel clemente ». Par rapport à la version de Naples, il faut donc adjoindre à deux ténors bodybuildés une mezzo-soprano d’envergure et une soprano à toute épreuve. Impossible ou presque.
Depuis le miracle d’Otello en 2007 qui voyait Gregory Kunde, face au Roderigo de Juan Diego Florez, endosser in extremis le rôle titre, les deux chanteurs semblent aujourd’hui les mieux capables de faire revivre le tandem formé à l’époque de Rossini par Andrea Nozzari et Giovanni David, les créateurs d’Antenore et d’Ilo. Avec une partition qui leur offre moins d’occasions de s’éperonner – il n’y a aucun duo entre eux – et avec chacun ses limites. Si Gregory Kunde a désormais développé des registres inférieurs qui lui permettent d’aborder les partitions de baritenore, le medium apparaît fatigué, le timbre plus voilé que de coutume, les graves sourds. Fatigue de fin de festival au lendemain d’un récital sublimé par un « asile héréditaire » dans lequel il a jeté toutes ses forces ? L’aigu, sans s’aventurer dans les stratosphères qui furent les siennes, demeure percutant. Plus remarquable encore l’intelligence d’un chant stylé par lequel cet Antenore grisonnant compense l’usure des moyens. Nuancer et user de l’ornementation à des fins expressives : tout Rossini est là.
Moins imaginatif, Juan Diego Florez prend toutefois plus de risques qu’autrefois, n’hésitant pas à varier le phrasé et faire assaut de coloratures pour séduire un public qui, à en croire l’intensité et la durée des applaudissements, lui est tout acquis. Voix toujours homogène et séduisante mais, l’acoustique aléatoire de l’Adriatic Arena aidant, timbre aminci qui donne l’impression d’un Ilo bien fluet. Surtout si on le compare aux deux basses de service. Mirco Palazzi, qui interprétait déjà Leucippo au disque pour Opera Rara, et Alex Esposito, Polidoro, jouent à jeu égal même si le dernier a l’avantage d’une cavatine et d’un duo quand le premier se contente d’intervenir dans les ensembles. L’un comme l’autre probes, sonores, sachant vocaliser et qui plus est d’une belle présence scénique. Rien à redire non plus sur l’Emma de Marianna Pizzolato dont le duettino au I et la grande scène au II figurent parmi les meilleurs moments de la soirée. Plus à l’aise dans le registre tragique que comique (on pense à son Italienne à Alger en 2006), la cantatrice, après plusieurs années de présence à Pesaro, connaît les clés du chant rossinien. Au contraire de Kate Aldrich qui, sans être indigne, a bien du mal à rendre vivant le personnage de Zelmira. Question de nature plus que de style d’ailleurs. La voix possède d’indéniables qualités, à commencer par la souplesse et la rondeur, mais ne se départ jamais de sa réserve. Et puis pourquoi avoir confié à un mezzo-soprano un rôle que notre époque a vu défendu par des sopranos autrement aguerries : Zeani, Gasdia, Devia… Dépouillée de ses aigus – et de ses suraigus ! –, de ses éclats, privée de relief, étouffée dans les ensembles, cette Zelmira trop sage laisse de marbre.
Sous la direction cérémonieuse de Roberto Abbado, la soirée s’écoute lentement.