Le MET dans toute sa splendeur : Florez, Damrau, DiDonato et Pertusi réunis sur une même scène, il n’y a pas à dire, ça en jette ! Sur le papier tout du moins. Le délicat Comte Ory n’allait-il pas souffrir du cadre peu intime de l’immense salle du Metropolitan Opera ?
La programmation à New York de cette œuvre si longtemps délaissée peut d’ailleurs sembler étonnante. Le Comte Ory serait-il à la mode ? Après Pesaro en 2009 (reprise d’un spectacle avec Juan Diego Florez créé en 2003), la saison prochaine verra des nouvelles productions à Marseille et à Genève. On ne peut que se réjouir du succès de cet opéra resté au cours des dernières décennies dans l’ombre du Voyage à Reims dont il reprend la moitié de la partition.
Mais revenons au MET. Le roi de la soirée est sans conteste Juan Diego Florez. Encore plus séduisant que dans l’enregistrement réalisé en 2003 à l’issue des représentations à Pesaro, on croirait le rôle du Comte écrit pour lui : voix sonore et bien projetée, timbre caressant… Dès son entrée « Que les destins prospères », l’on ne peut que rendre les armes. Si l’on a pu parfois reprocher au ténor péruvien une expression un peu monochrome (notamment dans le Rossini seria), il n’en est rien ici : l’interprète est sans cesse inspiré, utilisant la voix de tête avec élégance et une rare intelligence de caractérisation, et variant sans cesse intentions et reprises. Enfin le français est parfait d’intelligibilité, et l’acteur plein d’esprit : libidineux à souhait qu’il soit déguisé en ermite ou en bonne sœur. Question imagination interprétative il trouve du répondant chez son gouverneur. Michele Pertusi relit à sa façon son air « veiller sans cesse », avec ornementations inédites dans l’aigu. Il confirme par ailleurs après son Guillaume Tell de Zurich son affinité avec la langue française.
Face à eux, Stéphane Degout en Raimbaud ne fait pas pâle figure, ce qui est déjà un exploit. La vocalise, rapide, semble beaucoup plus déliée que dans la récente Cenerentola au Théâtre des Champs Elysées et il parvient à intéresser dans son air « Dans ce lieu solitaire » pourtant privé ici des imitations des différentes nationalités qui font le sel de son homologue dans le Voyage à Reims, le célèbre « Medaglie incomparabili ».
Les femmes souffrent dans l’ensemble d’une diction moins franche, particulièrement Susanne Resmark, Dame Ragonde sonore. L’Isolier de Joyce DiDonato paraît au premier abord un peu en retrait : si l’on retrouve toute l’élégance belcantiste de la mezzo, elle semble céder le pas face à ses partenaires dans les ensembles, par manque d’arrogance dans l’aigu et un déficit de puissance. Le magique trio du second acte (« A la faveur de cette nuit obscure ») la trouve cependant à nouveau souveraine. Diana Damrau campe une Comtesse Adèle déjantée, mi nympho mi prude, le côté nympho prenant d’ailleurs rapidement le dessus ! Pétillante scéniquement, la soprano allemande manque d’un medium plus nourri et d’un grain de folie dans la vocalise pour nous combler totalement.
La mise en scène de Bartlett Sher joue, quand à elle, à la fois la carte du théâtre dans le théâtre et celle du premier degré. La première tombe à plat, avec les interventions d’un régisseur qui n’apportent rien, mais elle a le bon goût de vite se faire oublier. La seconde fonctionne plutôt bien : le livret est on ne peut plus simple (le Comte Ory tente de séduire la belle Comtesse Adèle, en se déguisant d’abord en pieux ermite puis en pèlerine, Sœur Colette). Vouloir y glisser un second degré est un non-sens1. On est ici dans la farce, juste teintée d’une pointe de mélancolie. Le metteur en scène l’a parfaitement compris en multipliant les situations coquines, le Comte Ory ayant une fâcheuse tendance à étreindre ou embrasser tout élément féminin qui passe à sa portée. Les jeux d’acteurs sont vifs, virevoltants, en parfaite harmonie avec la partition, au milieu de décors simples et stylisés. Reste que l’idée de refuser toute équivoque à la scène finale – le Comte est ici parfaitement conscient de coucher à la fois avec son page et sa dulcinée (et il y prend visiblement plaisir !) – la prive du trouble qui devrait la pimenter.
Les minimes réserves exprimées ci-dessus et la direction d’orchestre de Maurizio Benini qui manque de brillant ne sont cependant pas de nature à gâcher la véritable jubilation que provoque le spectacle, et l’on se dit en sortant que l’on n’assistera pas de sitôt à une telle représentation du Comte Ory. Avis au théâtre qui relèvera le défi !
1 C’est d’ailleurs ce qui disqualifiait la production de Pesaro