A l’approche de la Saint Sylvestre, la valse s’engouffre dans les salles de concert comme le vent froid dans les rues de Paris. La Cathédrale Saint-Louis des Invalides délaisse les cantiques pour tourner sur trois temps. Wer Tanzt mit, la polka rapide d’Eduard Strauss – le frère de Johann junior – ouvre « une folle soirée à Vienne » qui tient plus de la danse de salon que du bal de l’Empereur. L’Ensemble Contraste dirigé au piano par Johan Farjot, tente de pallier l’absence d’orchestre symphonique. Tritsch Tratsch Polka ou la cinquième Danse hongroise de Brahms sont pages trop rebattues par des formations brillantes pour ne pas paraître timides dans un arrangement pour une quinzaine d’instruments, en dépit de la valeur de l’arrangement et de l’éloquence des instrumentistes.
Le sang viennois coule pourtant, à travers les voix de Marianne Croux et de Léo Vermot-Desroches. Elle, Donna Anna il y a peu au Théâtre de l’Athénée – « Non mi dir » inséré entre deux airs de Lehár et Kálmán le rappelle. Lui, ténor distingué aux Victoires de la musique classique en 2023, bientôt promis aux premiers rôles – il sera Alfredo dans La traviata à Tours en fin de saison. Elle et lui alternant sur scène pour se rejoindre dans « Weisst du es noch ? » de Princesse Csardas et « Glück, das mir verlieb » de Die Tote Stadt, en milieu et en fin de concert.
La complicité ne s’acquiert pas en une seule soirée. Si irrésistibles soient les atours mélodiques de ces duos, la séduction des deux chanteurs agit moins ensemble que séparément. Elle, par le pouvoir d’un soprano au médium élargi sans que l’aigu ait pâti de cet élargissement, les registres soudés, le timbre gorgé de sève et de fruit dans un « Meine Lippe, die küssen so heiß » à la sensualité naturelle puisqu’induite par la voix, dosant jusqu’au tragique l’intensité de la romance d’Antonia, moins inspirée par « non mi dir » – étonnamment –, car peut-être trop confiante pour avoir chanté récemment l’air sur scène, ou au contraire entravée par l’absence du soutien dramatique qu’apportent le théâtre et ses artifices. Allez savoir ! Lui, plus long à céder à l’ivresse de la valse, encore raide dans « Grüß mir mein Wien » extrait de Comtesse Mariza pour mieux se libérer dans une chanson de Kleinsach à la diction irréprochable, dans la noble lignée d’un chant français qui aujourd’hui a pour porte-drapeau Bernheim et Alagna, usant de la voix mixte pour renouveler l’éventail de couleurs tout en préservant intacte sa force d’émission, alternant puissance et douceur comme l’exige ce parangon de Tauberlieder qu’est « Dein ist mein ganzes Herz ». Elle et lui réunis par deux bis, « Heure exquise » de La Veuve joyeuse (en français donc) et de nouveau « Weisst du es noch ? », musique pour laquelle Johan Farjot dit avoir eu un coup de cœur, partagé en ce qui nous concerne.