Gérard Mortier eut un jour ce mot venimeux à l’adresse du théâtre de David McVicar : « ce qu’il fait, c’est du prêt à porter et ça ne m’intéresse pas ». Il est à craindre qu’Olivier Py, dont on a ici souvent loué le talent, se laisse lentement dépasser par son agenda de ministre. Dans cette mise en scène de La Forza del Destino qui égale, par le faste, le couronnement de Bokassa Ier, on retrouve l’habituel fatras grammatical de Py : ses anges, ses sulfateuses, ses fusillés, ses memento mori, ses masques. D’oeuvre en oeuvre, on a parfois le sentiment d’un vague copier coller — ainsi Carlo qui s’enduit le visage de sang frais comme le faisait déjà Elettra dans l’Idomeneo d’Aix ou les fusillés qui tombent en rythme comme dans Les Huguenots de La Monnaie.
La scénographie de Pierre-André Weitz hésite entre Metropolis, Zola et Spilliaert. Ses tonalités sombres, sur fond de paysages industriels persillés d’écrous sont d’un intérêt esthétique indéniable, mais cette installation semble parfaitement dissociable de la pièce traitée et pourrait convenir aussi bien à Guerre et Paix qu’à Mademoiselle Julie. Comme souvent, les acteurs sont laissés à eux-même, ainsi le premier tableau compile-t-il les pire clichés : le ténor entre en scène en bondissant, les amoureux chantent leur duo face au public main dans la main, le vieux Marquis meurt avec force gesticulations. Et pourtant, face à cette nonchalance, des fulgurances inouïes. Les médecins qui s’ébrouent autour d’Alvaro dans une chorégraphie tellement méticuleuse et réaliste qu’on en reste béat et un final d’une grâce et d’une épure sidérantes. Le metteur en scène bégaye peut-être, mais son propos est toujours intéressant.
Py est aidé par une Léonora de classe internationale en la personne d’Adina Aaron. Si le premier tableau expose un aigu légèrement voilé, la suite n’est qu’enchaînement de pianissimi apolliniens servis par un timbre marbré, un grave qui ne manque ni de velours ni de hauteur de vue et un jeu, une présence et — plus prosaïquement — une plastique qui font de cette chanteuse le principal atout de la soirée. À ses côtés, le Carlo d’Anthony Michaels Moore accuse les années. Le baryton anglais conserve sa musicalité et cette belle voix granuleuse, mais lui manquent aujourd’hui la gestion du souffle et une certaine assurance dans l’aigu. Ecueils qui contrastent avec sa silhouette de jeune homme. On jettera un voile pudique sur l’Alvaro d’Enrique Ferrer dont la voix, passée le haut médium n’est qu’un vaste champ de ruines ; reconnaissons que son engagement et sa détermination quasi suicidaire à « tout donner » le rendent finalement attachant. Patrick Carfizzi n’a qu’à se baisser pour ramasser les lauriers de Melitone auquel sa vis comica rend plus justement hommage que sa belle voix. Le Guardiano de Liang Li, digne comme Saint-Jérôme, remplit son office avec grande éminence alors que le Calatrava cacochyme de Dirk Aleschus emportera dans le tombeau le secret d’une intonation aussi hasardeuse.
L’orchestre maison, un peu perdu dans l’énorme Opera am Dom, est efficacement mené par Will Humburg, sans merveilles particulières mais avec une probité indéniable. Les choeurs, quant à eux, soulignement la grande tradition germanique du chant choral et se montrent d’une exemplarité rare, dans l’intonation comme dans l’homogénéité des timbres.
Olivier Py, s’il nous épargnait ses systématiques prostituées mamelues et s’il acceptait d’abandonner un peu de sa redondante symbolique sur le divan d’un praticien ou dans la lecture de Krafft-Ebing – s’il se déparait en somme de l’anecdotique et de lourdes allégories – rendrait peut-être service à son indéniable et flamboyant talent.