Pour la seconde année consécutive, le festival Stradella résonne dans le village de Celleno – « borgo fantasma » – avec un engagement qu’il faut souligner, tant l’Italie soutient peu la diffusion artistique en zone rurale. Après une superbe proposition autour des musiques du Nouveau Monde, l’an passé, ce sont cette fois les paysages sonores de la Rome baroque qu’ont applaudi les spectateurs pour un prix d’entrée plus que modique.
Depuis plus de dix ans, avec le soutien ministère de la Culture, Andrea de Carlo équilibre son travail de chef d’une importante activité pédagogique à la tête du Stradella Young projet afin d’initier de jeunes artistes à l’esthétique de son compositeur de prédilection, Stradella, mais également de la musique traditionnelle du Latium.
Intarissable lorsque l’on évoque la prononciation des doubles consonnes en italien, il associe, ce soir encore, une précision lapidaire et une joie communicative dans l’interprétation, pour démontrer combien la polyphonie sacrée est issue des chants populaires des rues de la capitale.
Trois Toccata de Frescobaldi rythment la soirée. La Toccata avanti la messa degli Apostoli marque particulièrement par la sensualité et la plénitude du son, le raffinement de l’écriture tandis que la Toccata cromatica surprend délicieusement par la complexité de l’écriture et des harmonies d’une étonnante modernité. Poignant dès les premières notes Ricercar sul IVe tono de Palestrina est un autre temps fort de la soirée.
La Sonata K87 de Scarlatti donne l’occasion d’applaudir le talent époustouflant d’Amleto Matteucci à la contrebasse. Le jeune homme est doté d’une énergie rythmique et d’une verve assez uniques qui régalent également dans le Ballo de Kapsberger où l’ensemble fait montre, comme tout au long du programme d’une belle intelligence du phrasé et de la ligne mélodique sans oublier un vrai sens du contraste et des couleurs.
Il donne un relief rythmique remarquable à « Amore dell’alma » de Massienzo. Ses pizzicati font tout autant danser le « Fuggi, fuggi da questo ciele » de Cenci, permettant à Roberto Mattioni d’offrir son timbre de ténor tout en métal brillant à ce répertoire populaire idéale pour sa voix très timbrée, puissamment projetée, à la justesse malheureusement contestable à plusieurs reprises.
Sur un tapis sonore de l’ensemble, tout en sensualité, les accents mozarabes de « O Roma Nobilis » avaient joliment ouverts la soirée, en évoquant l’émerveillement des pèlerins apercevant Rome pour la première fois. Les « Amante felice » de Stefani clôturent quant à eux le programme avec une jolie conduite du son et du legato à la voix sans oublier une jubilation palpable à la contrebasse et à la guitare avant un très beau bis napolitain où le ténor s’accompagne d’une guitare calabraise dans une Tarentelle de Sorrente endiablée.
Tout au long de la soirée, ce dernier donne à entendre – comme les artistes de Mare Nostrum l’avant veille avec l’exceptionnel Oratorio di Santa Rosa – la relation entre phonétique et esthétique dans la musique vocale et instrumentale du XVIIe siècle. Comme l’explique Andrea de Carlo, « le moyen-âge abandonne progressivement le latin pour la langue vulgaire. L’élision de certaines consonnes à l’écrit (le latin [est] devient [e], par exemple) , n’empêche pas leur survivance dans la mémoire auditive. Il s’agit d’un renforcement phono-syntaxique qui explique que, dans la phrase romaine, les consonnes soient redoublées. » Chez Monteverdi, par exemple, le chef d’orchestre a découvert que « les double-consonnes étaient souvent soulignées par des rythmes pointés. Si la langue italienne est si chantante, ce n’est pas seulement parce que les voyelles sont longues mais surtout parce que la double consonne prend l’espace de la voyelle et l’accentue. Elle réalise un geste, un rebond, une danse dans l’air, créant l’émotion. Il s’agit là d’un instrument très important qui structure la phrase, permet de créer le legato. Les double-consonnes sont le moteur et le récepteur de l’énergie des voyelles qui constituent ensuite la route sur laquelle se déplace cette énergie. » Une danse dans l’air, voilà un bien joli programme…