« Je ne sais quelle puissance magique possède la musique ; j’ai rêvé des semaines entières au rythme cadencé d’un air ou aux larges contours d’un chœur majestueux ; il y a des sons qui m’entrent dans l’âme et des voix qui me fondent en délices. J’aimais l’orchestre grondant, avec ses flots d’harmonie, ses vibrations sonores et cette vigueur sonore qui semble avoir des muscles et qui meurt au bout de l’archet… » Quel plus bel hommage lui rendre que ce concert de six œuvres (*), au cœur desquelles La mort de Cléopâtre, du natif de La Côte-Saint-André ?
L’Orchestre National de Metz, en très grande formation (et en habit), est dirigé par Constantin Trinks, qui remplace David Reiland, retenu au Japon par les mesures sanitaires.
De Camille Erlanger, tirée de son opéra Saint Julien l’hospitalier (composé à Rome, après le Prix, en 1888), la suite symphonique La chasse fantastique (1894) ouvre le concert par un grand spectacle, impressionnant – du Dukas avant l’heure, le génie en moins – qui use et abuse des ficelles post-romantiques et frise parfois le grand guignol. L’orchestre et le chef jouent le jeu. Est-ce suffisant pour réhabiliter cette musique exaltée, démonstrative, mais qui sent l’artifice ?
Mel Bonis, condisciple de Debussy dans la classe de Guiraud, sort de l’ombre, et c’est fort heureux. L’écriture est séduisante, aboutie, sensuelle, caressante comme forte, et si le langage diffère peu, malgré les couleurs impressionnistes, l’élégance est raffinée, subtile, renouvelant en permanence l’attention de l’auditeur. L’œuvre était déjà donnée par l’orchestre, chez lui, il y a un an, et il est visible que les musiciens l’aiment, pleinement investis.
Bien que rare au concert, trop audacieuse pour lui permettre de remporter le Prix de Rome en 1829, la scène lyrique de Berlioz, est connue. Véronique Gens, qui en est l’héroïne ce soir, l’avait déjà enregistrée en 2013, à Lyon, avec Louis Langrée. Le livret de La mort de Cléopâtre (H 36) est efficace, permettant toutes les formes d’expression lyrique à travers ses six parties. La pâte orchestrale convainc dès l’introduction symphonique. Véronique Gens s’y donne avec les qualités vocales et dramatiques que l’on apprécie. Le souci d’intelligibilité est permanent, la conduite de la ligne, les aigus, solides comme le medium sont toujours appréciés. La tragédienne illustre les contrastes expressifs entre les parties sans outrance. Cependant, malgré une complicité manifeste avec le chef, les équilibres sont compromis dès que l’écriture orchestrale se superpose à la voix dans son registre central et grave, particulièrement dans les parties récitatives (ce qui n’était pas perçu au premier rang). Nul doute que l’enregistrement corrigera ce travers.
Les Messins sont chez eux dans la Salammbô de Florent Schmitt. La musique est servie avec engagement, animée, nerveuse, jubilatoire, dramatique, colorée et sensuelle. La phalange l’a dans ses gênes, et la luxuriance de l’écriture, où chaque pupitre est valorisé, des bois aux cuivres, des cordes aux percussions, harpes et célesta, est propre à créer une jouissance sonore singulière.
Massenet, avec la suite du ballet d’Hérodiade (les Egyptiennes, les Babyloniennes, les Gauloises, les Phéniciennes, puis le final), rompt avec cette esthétique postromantique, un peu cinématographique. Les épanchements de cordes – avec de splendides unissons – sont d’un bel effet, même si, parfois, une certaine vulgarité affleure.
La flamboyante Danse des sept voiles de Salomé est un festival orchestral exemplaire, élégant, sensuel, fort et tourbillonnant, viennois, dont les qualités sont magnifiées par un orchestre et sa direction, manifestement heureux de partager leur jubilation. Constantin Trinks aura fait la démonstration – jamais ostentatoire – de son autorité musicale et technique. Le geste est précis, l’attention constante, les phrasés sont modelés avec soin, les équilibres orchestraux savamment dosés. Une belle phalange que l’Orchestre National de Metz, avec de remarquables solistes !
(*) auquel s’ajoute un colloque international « Berlioz, Flaubert et l’Orient », animé par Peter Bloom, Damien Dauge et Cécile Reynaud, les 22 et 23 août, au Musée Hector Berlioz.