Comme il ne reste plus qu’un petit mois pour commémorer encore un peu le tricentenaire de la mort de Louis XIV, Versailles met les bouchées doubles : Funérailles du roi à la Chapelle début novembre, Ballet royal de la nuit à l’Opéra il y a une semaine, et enfin Gala Lully dans la Galerie des Glaces ce mercredi 2 décembre. Après Raphaël Pichon et Pygmalion, après Sébastien Daucé et l’ensemble Correspondances, voici le tour de Leonardo García Alarcón avec ses deux formations orchestrales et le Chœur de chambre de Namur.
Pour ce concert, deux volets correspondant aux deux facettes de la production lulliste : le profane d’abord, le sacré ensuite, ce qui épouse également la chronologie, puisqu’aux extraits de comédies-ballets et de tragédies lyriques conçues entre 1659 et 1686 succèdent les partitions écrites en 1683 pour la mort de la reine.
Pour ceux dont les oreilles ont découvert Lully grâce à William Christie, l’apport de Leonardo García Alarcón dans ce répertoire consiste avant tout à nous rappeler l’italianité d’un compositeur qui en est venu à incarner la musique française. La soirée s’ouvre d’ailleurs avec un extrait d’Ercole Amante, et l’on sait qu’en 1662 Lully écrivit des intermèdes pour l’opéra de son aîné et compatriote Cavalli. Curieusement, ce trio réunissant trois voix aiguës (deux femmes et un contre-ténor) est ici interprété par un ensemble vocal associant deux des solistes du concert à des membres du Chœur de chambre de Namur. Du Ballet royal de la Raillerie provient un savoureux dialogue opposant « musique françoise » et vocalité italienne, sous les traits de Caroline Weynants, remarquée notamment dans l’enregistrement récent de La Caravane du Caire, et de Judith Van Wanroij, désormais bien connue pour ses prestations dans un répertoire allant de Lully (Armide à Nancy en juin dernier) à Salieri (magnifique Danaïdes dirigées par Christophe Rousset). Pour la « plainte italienne » de Psyché, elles sont rejointes par la basse João Fernandes, qu’on trouvera peut-être plus concerné par les pièces sacrées de la deuxième moitié de soirée, et par la haute-contre Mathias Vidal, particulièrement extraverti dans son expression de la douleur, et qui fait figure de véritable héros de cette première partie, puisque lui sont successivement confiés l’air de Mercure dans Persée, l’air pour un Espagnol du ballet final du Bourgeois gentilhomme, l’air de Renaud et l’air des Plaisirs dans Armide. Timble claironnant et intensité dramatique, le ténor français fait merveille dans ce répertoire, on le sait depuis quelques années, et l’on se réjouit d’avance de le retrouver bientôt dans plusieurs personnage de premier plan, notamment le rôle-titre de Persée au printemps prochain.
Après s’être déchaîné dans les airs de danse et avoir multiplié les effets exotiques dans la Cérémonie turque, le Millenium Orchestra et la Cappella Mediterranea profitent de l’entracte pour se parer des atours pompeux de la déploration royale. De même, après avoir vigoureusement caractérisé les Trembleurs d’Isis et dépeint la séduction des jardins d’Armide, le Chœur de chambre de Namur revient sous des traits plus austères. Pour le Dies irae, le ténor Thibaut Lenaerts se joint aux autres solistes dont les voix se mêlent selon des configurations sans cesse renouvelées. Avant de passer au De profundis, l’orchestre interprète la pompe funèbre d’Alceste, un tambour arrivant du fond de la Galerie des Glaces pour marquer le rythme de cette page qui, pour être issue d’une œuvre scénique, ne s’en accorde pas moins à l’atmosphère des deux partitions qui l’encadrent. Comme pour le Dies irae, les dernières minutes incluent un très émouvant appel au repos éternel, suivie pour le De profundis par un jaillissant « Et lux perpetua ». A peine les ultimes notes ont-elles retenti qu’une des choristes s’écroule, prise d’un malaise qu’on espère dû seulement au climat d’affliction créé par le plus italien des compositeurs français et superbement traduit par tous ses interprètes.