C’est à un voyage en Italie auquel nous étions conviés cet après-midi aux Invalides. De Puccini à Nino Rota, il n’y a apparemment qu’un pas que nous a fait franchir avec virtuosité et légèreté le jeune chef dynamique Clément Mao-Takacs à la tête de son Secession Orchestra. Autour de lui, trois jeunes voix, des reines en devenir, Marie-Laure Garnier, Axelle Fanyo et Faustine de Monès. Ce concert initialement annulé a pu finalement être maintenu mais réservé à la presse dans le cadre de son enregistrement en vue d’une diffusion sur Radio Classique le 2 Janvier prochain. C’est donc en avant-première que nous avons eu le privilège de découvrir ce florilège Puccinien dans la Cathédrale Saint Louis. Un véritable best of où chacun et chacunes ont rivalisé de brio pour interpréter les plus grandes œuvres du Maître italien. Il est toujours intéressant d’entendre un concert dans le cadre d’un enregistrement, car ce n’est pas seulement à la performance que nous assistons, mais également à la captation elle-même avec ses différentes prises, rattrapant de ci, de là, les quelques imperfections saisies au vol par le chef et les oreilles expertes du superviseur de Radio Classique.
Le concert s’ouvre avec Mimi de La Bohème au seuil de sa vie, au cœur du printemps de son existence, avant que celle-ci ne s’achève prématurément. Marie- Laure Garnier nous offre une interprétation de « Mi chiamano Mimi » à faire pleurer les pierres. Tour à tour rêveuse, langoureuse, extatique, la lauréate des Voix d’outre-mer campe une Mimi profondément émouvante, mais qui semble prête à affronter son destin quel qu’il soit. Un destin qu’elle semble toutefois prendre à bras le corps ne s’en laissant pas compter. Dans le « Sola, perduta, abbandonata » de Manon Lescaut, Marie-Laure Garnier montre toute la plénitude de son talent. Elle fait la démonstration de moyens vocaux de grand lyrique imposants où un grave mirifique côtoie des aigus étincelants. Doté d’un tempérament bien trempé et d’une présence saisissante, elle n’interprète pas un personnage, elle l’habite viscéralement. Au seuil de sa mort imminente, c’est une Manon Lescaut terriblement humaine qui nous saisit tout entier, et laisse une empreinte d’un profond désespoir mais restitué avec force et dignité.
Pouvait-on imaginer cadre plus approprié que la Cathédrale Saint Louis pour évoquer le personnage puccinien par excellence, Tosca, les lieux prenant alors pour l’occasion des allures de Basilique Sant’Andrea della Valle. Le « Vissi d’arte » permet à Axelle Fanyo d’occuper l’espace avec une voix puissante, charnue, opulente, servi par une diction claire et ferme et un timbre séduisant. Et si dans le médium elle se fait parfois débordée par l’orchestre, elle reprend vite la main avec un remarquable registre aigu. Son tempérament dramatique donne aux nuances qu’elle insuffle à son chant, une impression de facilité déconcertante. La chanteuse n’incarne pas uniquement un personnage elle nous en narre l’histoire. Elle cultive à l’évidence l’art du dire qui donne à son chant une autre dimension, comme dans « Un bel di vedremo » avec lequel elle clôt avec brio le concert. L’émotion est palpable et le frisson parcourt l’assistance.
Faustine de Monès, Clément Mao-Takacs, Marie-Laure Garnier, Axelle Fanyo©Brigitte Maroillat
Au côté de ces dames, nous devions retrouver le ténor Yu Shao qui avait capté toute notre attention quand il était encore l’élève de José van Dam à la Chapelle musicale Reine Elisabeth. Celui-ci ayant in fine déclaré forfait, il a été remplacé par la remarquable soprano Faustine de Monès. Elle campe ici une Musette d’une belle prestance avec un timbre clair et une maîtrise souveraine de la nuance. Sa canzone di Doretta de La Rondine relève de la virtuosité avec des aigus étincelants dans l’écrin d’une ligne de chant impeccable. Une voix à suivre de près dans les années à venir.
Au pupitre, on retrouve un comparse musical de Marie-Laure Garnier, le jeune chef Clément Mao-Takacs que nous avions eu le plaisir de voir diriger la soprano dans un concert à Orsay donné autour d’une exposition « Le modèle noir ». Toujours à la tête de son Secession orchestra, il assure une direction efficace et investie dans un lieu qui ne brille pourtant pas par la qualité de son acoustique. Dans une approche équilibrée, il laisse suffisamment d’espace aux voix pour qu’elles s’expriment pleinement tout en conférant à la musique la place qu’elle mérite par une attention soutenue apportée à chaque instrument. L’évidente complicité entre le chef, ses musiciens et les solistes confère une belle énergie à ce concert. Sur le plan symphonique, le chef nous entraîne, en outre, dans une échappée belle dans l’univers de Nino Rota, avec une interprétation impressionnante d’une suite de 22 minutes dédiée à La Strada, l’orchestre tout entier investi dans un festival de glissando de cordes, de cuivres triomphants et de percussions hallucinantes. Un chef survitaminé à l’enthousiasme communicatif et des voix touchées par la grâce, voici le cocktail qui attend les auditeurs de Radio Classique le 2 janvier prochain. Un moment de ravissement à ne pas manquer.