Parodier le Moyen Age, les Monty Python l’ont tellement bien fait dans Sacré Graal qu’on peut comprendre qu’un metteur en scène ait envie de traiter autrement la légende de Geneviève de Brabant revue et corrigée par les librettistes d’Offenbach. Et tant qu’à donner comme eux dans l’anachronisme, autant rendre celui-ci plus criant encore en faisant arriver Charles Martel non pas dans une époque vaguement médiévale, mais plutôt de nos jours, dans la banalité de notre quotidien. Un quotidien situé quelque part entre la banlieue couleur pastel d’Edward aux mains d’argent et Wisteria Lane, qu’habitent les « Desperate Housewives », non plus désespérées mais finalement victorieuses sur leurs époux. Pourquoi pas, et le disparate induit par cette transposition aurait pu être amusant. Hélas, il ne l’est guère, et la première partie du spectacle ressemble à une exposition bien longuette. On comprend mieux en lisant dans le programme que, pour le metteur en scène, « tout le début de l’opéra n’est qu’une parenthèse gigantesque qui dégénère en délire absolu ». De fait, à partir de l’arrivée du susdit Charles Martel, on bascule dans une absurdité assez réjouissante, et la deuxième partie s’avère beaucoup plus réussie, en assumant pleinement le choix du non-sens. Cela dit, il paraît que le spectacle monté par Carlos Wagner a été entièrement revu depuis sa création à Montpellier en mars 2016 : on ne saurait plus guère reprocher la moindre grossièreté aux dialogues réécrits, et l’action – pour ce qu’elle vaut – semble devenue bien plus compréhensible. Malgré tout, le doute reste permis quant à la viabilité de cette œuvre de nos jours. Echec en 1859, Geneviève de Brabant fut remanié en 1867, soit à l’époque des « grands Offenbach », pour connaître encore un nouvel avatar en 1875, mais rien n’en surnage avec évidence sur le plan musical, à part l’air « Une poule sur un mur », d’ailleurs repris jusqu’à plus soif.
© Opéra national de Lorraine
Si l’on examine la partition, ou du moins ce que la version présentée à Nancy nous permet d’en entendre, un premier problème est que l’héroïne éponyme ne semble guère avoir inspiré le compositeur : Geneviève n’a ici réellement qu’un air, celui de la biche, auquel Sandrine Buendia prête son beau timbre argenté. Paradoxalement, les comparses semblent plus présentes et héritent d’une musique plus attrayante : Clémence Tilquin impressionne par son volume sonore et sa maîtrise de la virtuosité, tandis que Diana Higbee, hilarante en justicière tombée du ciel, semble paradoxalement plus à l’aise pour parler le français que pour le chanter. A ces dames devrait se joindre une quatrième, dans un monde bien fait, puisque le pâtissier Drogan a été écrit par Offenbach comme un rôle travesti. A Montpellier, c’était bien une voix féminine qui l’interprétait, et l’on se demande bien pourquoi il échoit à Nancy à un ténor, selon les plus mauvaises traditions en vigueur il y a un demi-siècle. Rémy Mathieu, ex-Roland des Chevaliers de la table ronde d’Hervé, possède une jolie voix de ténor, la question n’est pas là, et l’Ermite auquel il prête sa voix devient ici un impayable nain de jardin ; heureusement peut-être, il ne subsiste ici presque aucun des ensembles auxquels il pourrait prendre part, ce qui évite les problèmes d’équilibre vocal qui ne manqueraient pas de se poser. Avec Marc Bihour, transfuge des Deschiens déjà vu à Nancy dans Barbe-Bleue, la notion même de chant prend une autre dimension, mais ce n’est pas la première fois qu’on fait appel à un comédien pour incarner un personnage offenbachien (c’est assez souvent le cas de Ménélas dans La Belle Hélène). Eric Huchet est, lui, un ténor qui interprète un rôle de ténor, mais il ne paraît pas très à l’aise dans la première partie. Peut-être aurait-il fallu revoir le personnage pour mieux l’adapter à sa personnalité ; il est en tout cas assez impayable en Cléopâtre façon Liz Taylor. Ténors encore, mais avec encore moins à chanter, François Piolino, parfait Laurel pour ce Hardy qu’est Philippe Ermelier dans leur duo de policiers stupides, ou Raphaël Brémard, abonné des opérettes mais auquel le rôle du bourgmestre ne donne guère d’occasion de se mettre en avant. Boris Grappe est sous-employé en Charles Martel, mais il tombe à l’eau de fort bonne grâce. Quant à Virgile Frannais, son personnage de scout-poète lunaire est un régal, même si on n’a guère l’occasion de l’entendre chanter, lui non plus.
Claude Schnitzler sait diriger une opérette, dans la douceur de passages comme le « chœur des baigneuses » du deuxième tableau, ou dans la vivacité des finales, mais la musique n’arrive jamais ici à s’imposer avec cette évidence irrésistible propre aux plus grandes réussites d’Offenbach. Geneviève de Brabant est un titre qui aurait donc encore besoin de soins, et sans doute d’un autre ordre, pour renaître véritablement. Patience, la curiosité du public et l’audace des programmateurs de théâtre étant plus grandes dès que le label « Offenbach » est applicable, il n’est pas interdit de penser qu’on retrouvera cette œuvre tôt ou tard.