Pour la dernière soirée du festival, le Stabat Mater alterne avec le dernier chef-d’œuvre de Rossini, la Petite Messe Solennelle. Celle-ci est donnée cette année dans sa version orchestrale, que le compositeur se résolut à écrire pour prévenir toute tentative de récupération et de spéculation.
Le nom de Michele Mariotti a servi d’appel, et sans avoir fait le plein – car une vidéoprojection publique a lieu en direct sur la grand place, face à la mairie – la salle du Vitrifrigo rassemble une assistance au sein de laquelle les Pésarais sont venus pour une fois en nombre. L’enfant du pays dirige l’Orchestre Symphonique National de la RAI, et passées les premières mesures, où le son semble brièvement se chercher, le festin sonore escompté sera complet, tant au pied de la scène que sur le plateau où, avant l’entrée des solistes, se sont installés sur trois rangs les cinquante membres du chœur Teatro Ventidio Basso.
Faut-il être religieux, croyant, catholique, pratiquant, pour diriger cette œuvre ? Que l’on sache, nul chef d’orchestre invité à le faire n’affiche ses convictions et l’absence de tout symbole chrétien sur le cénotaphe d’Alberto Zedda au cimetière central de Pesaro n’est pas une preuve d’athéisme. Pour nous la version orchestrale n’a pas l’impact émotionnel de la version originale, dont l’intimisme peut créer chez l’auditeur le sentiment, ou l’illusion, d’approcher la personnalité profonde de Rossini, sans les filtres inhérents à la sociabilité et à la frivolité d’un concert-clou. C’est dire quel tour de force réussit Michele Mariotti, dans ce contexte où la mondanité combat le recueillement, en parvenant à rendre sensible la spiritualité de l’œuvre.
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Tous les chanteurs s’investissent, artistes des chœurs et solistes, pour faire entendre dans les textes un rendu de sincérité, comme si l’ordre et le contenu des énoncés relevaient moins d’un enchaînement liturgique auquel Rossini se conforme que des effusions de sa conviction, et ainsi naît cette émotion si rare pour nous dans cette version. C’est le plus par le moins : aucune grandiloquence mais de la grandeur quand il faut, comme dans l’immense Credo. Même le solo de ténor Domine deus renonce aux éclats extravertis pour s’insérer dans cette grande prière. Les solistes ne nous en semblent que plus admirables de moins chercher le rayonnement personnel que l’insertion solidaire.
Du quatuor, aucun ne cherche à tirer la couverture à lui. La rondeur et la pureté du soprano de Rosa Feola rejoignent la clarté et la pudeur d’un Dmitry Korchak très concentré, la basse Giorgi Manoshvili confirmant l’impact de sa voix, après sa participation à la cantate à la mémoire de Maria Malibran. Et celle qui fut la sensation du festival 2021 sur le même plateau, inoubliable dans le rôle de Sinaïde, Vasilisa Berzhanskaya, dont le « dona nobis pacem » a une telle vigueur pressante qu’on ne sait plus si l’on entend la prière du compositeur ou la supplication de l’ interprète.
Un regret, pourtant, l’intervention de l’orgue sonnait vraiment trop peu, et aurait presque fait regretter l’harmonium de la version originale.
L’impact de cette interprétation a eu pour effet un long silence avant le déferlement des ovations. Elles étaient attendues, et elles étaient méritées.