Créé à la Scala le 28 mars 1896, Andrea Chénier connaît d’emblée un succès éclatant auprès du public milanais. En novembre de la même année l’œuvre est donnée à New-York avec un succès comparable, Hambourg l’accueille en 1897 puis Londres et enfin toutes les grandes capitales d’Europe, à l’exception de Paris qui l’ignore superbement. Les raisons de ce rejet ? Sans doute le livret qui propose une image peu reluisante de la Révolution française à moins que ce ne soit à cause du mépris d’une partie de la critique musicale qui soulignait la pauvreté de l’orchestration et la vulgarité d’une partition aux effets faciles, mépris auquel l’engouement du public partout où l’opéra est repris oppose un démenti éclatant. En France, l’œuvre a fait quelques apparitions sporadiques dans quelques villes de province mais il a fallu attendre 2009 pour qu’elle soit créée à l’Opéra de Paris lors d’une série de représentations restée depuis sans lendemain. Paris l’accueille à nouveau en 2017 au Théâtre des Champs-Élysées, le temps d’un concert avec Jonas Kaufmann. En revanche elle est régulièrement donnée hors de la capitale, récemment les opéras de Monte-Carlo et de Tours l’ont programmée avant Lyon qui l’a proposée dans une version de concert le 16 octobre dernier, en coproduction avec le Théâtre des Champs-Élysées où le public lui a réservé ce soir un triomphe retentissant.
L’un des principaux atouts de ce succès est l’homogénéité de la distribution dont les rôles secondaires sont tenus avec talent par des chanteurs issus du Lyon Opéra Studio ainsi que par des artistes des Chœurs de la maison tel Kwan-soun Kim, Fouquier-Tinville autoritaire à la voix solide et bien projetée. Filipp Varik campe un Incroyable obséquieux à souhait tandis que le timbre suave de Pete Thanapat lui permet d’incarner avec justesse Roucher, l’ami compatissant de Chénier. Alexander de Jong et Hugo Santos sont irréprochables dans leurs doubles rôles respectifs. Issue elle aussi du Lyon Opéra Studio, Sophie Pondjiclis se révèle poignante dans l’intervention de la « vieille » Madelon qu’elle interprète avec une émotion juste, sans pathos excessif, dans un silence recueilli. Moins convaincante est sa Comtesse de Coigny, la voix est sonore certes mais affectée d’accents plébéiens. De plus la chanteuse aurait gagné à changer de tenue pour éviter toute confusion entre ses deux personnages. Thandiswa Mpongwana prête à Bersi son timbre fruité et juste ce qu’il faut de sensibilité.
Dès son premier air, « Son sessant’anni, o vecchio, che tu servi », chanté avec une arrogance agressive et un volume vocal impressionnant, Amartuvshin Enkhbat impose son personnage avec autorité. L’on aurait sans doute souhaité davantage de retenue dans cette page, mais le public est conquis. En revanche, son « Nemico della patria », où il était attendu au tournant, s’avère irréprochable tant le baryton parvient à exprimer avec justesse et de jolies nuances tous les affects du personnage dans cette page célèbre.
Si au premier acte, Anna Pirozzi s’est montrée quelque peu extérieure à son héroïne, elle a proposé à l’acte suivant un duo d’amour passionné avec son partenaire. Mais c’est sa « Mamma morta » bouleversante au troisième acte qui lui a valu une ovation de plusieurs minutes de la part du public qui lui a réclamé, mais en vain, un bis. Elle a chanté cet air avec une intensité dramatique grandissante, alternant d’impressionnants forte avec de délicates nuances, mettant la salle à genoux.
Difficile pour Riccardo Massi de se frayer un chemin entre ces deux voix torrentielles, pourtant après un « improvviso » un rien tendu au premier acte le ténor parvient à s’imposer dès son duo du deuxième acte et son « Si fui soldato » poignant au troisième acte. Enfin, son « Come un bel di’ di maggio » tout empreint de nostalgie au dernier acte finit par emporter l’adhésion.
L’autre atout de cette soirée est la direction énergique et flamboyante de Daniele Rustioni qui mène l’Orchestre rutilant de l’Opéra de Lyon et ses chœurs à un train d’enfer dans un « Danziam la carmagnola » échevelé et belliqueux. S’il ralentit le rythme lors des pages élégiaques de la partition qu’il cisèle avec délicatesse, en gommant tout épanchement vériste, il exalte le côté martial de l’œuvre avec une fougue communicative.