A l’occasion de la rediffusion en streaming de Giovanna d’Arco au Teatro Farnese de Parme (visible jusqu’au 23 avril 2020), nous vous proposons de relire ci-après le compte rendu de la représentation du 9 octobre 2016.
Étendard flamboyant pour soprano un brin kamikaze, Giovanna d’Arco connaît un regain d’intérêt, en Italie du moins, la France continuant d’observer une certaine défiance envers un ouvrage qui traite son histoire par-dessus la jambe. Jeanne d’Arc, symbole (parfois trop) national, amoureuse de Charles VII, livrée aux anglais par son père avant de mourir sur le champ de bataille au lieu d’être brûlée vive ? Ridicule. Opéra suivant !
Rester campé sur des positions historiques ou, pire, sur des a priori relatifs aux « Verdi de jeunesse » serait une erreur tant la partition contient de beautés dont les quelques trivialités inhérentes à la période risorgimentale de sa composition ne saurait ternir l’éclat. Des pages comme « Fatidica foresta » ou la mort de Giovanna soutiennent la comparaison avec les chefs d’œuvre de la maturité, à condition – comme souvent dès qu’il s’agit du premier romantisme italien – de disposer d’interprètes d’exception. Vierge et guerrière, Giovanna l’est aussi vocalement, un peu plus vierge que guerrière certes mais cependant écartelée entre des pages élégiaques exigeant pureté d’émission et des cabalettes sauvages où la bravoure l’emporte sur le style.
Soprano coréenne adoubée par Muti, Vittoria Yeo est suffisamment intrépide pour ajouter ce rôle à un répertoire qui compte déjà Elvira dans Ernani et Lady Macbeth. Elle aurait tort de s’en priver tant ses moyens actuels lui permettent sans faillir les aigus filés et les vocalises aériennes qui ponctuent la partition. La froideur du timbre, l’absence d’expression, répréhensible ailleurs mais concevable ici dans un parti-pris désincarné, font Giovanna plus céleste que sensuelle, l’inverse en quelque sorte de ce que proposait Anna Netrebko à Milan l’an passé. La fatale attirance pour le roi n’en parait que moins plausible quand la transfiguration finale, placée sur le souffle, en apesanteur, touche au sacré.
© Roberto Ricci
Le contraste est saisissant entre ce chant éthéré, bien que solide, et celui, puissamment mâle de son royal amant. Inconnu de ce côté des Alpes, Luciano Ganci est un ténor comme on les aime, au timbre radieux, à la ligne égale et soignée, naturellement généreux, naturellement lyrique. Il ne faudrait pas que des prises de rôle prématurées – Cavaradossi, Pinkerton et même Turridu si l’on en croit sa biographie – n’altèrent prématurément des moyens qui pourraient le propulser parmi les grands de demain. Avec Vittorio Vitelli en Giacomo, le tiercé devient gagnant. Voilà encore un nom avec lequel il faudra compter si le baryton préserve cette déclamation large et longue, socle d’un chant affirmé d’où la bravoure n’exclut pas la noblesse.
SI bons cependant soient les chanteurs, la réussite musicale de la soirée repose d’abord sur la direction de Ramón Tebar. Le jeune chef d’orchestre espagnol ne semble pas un seul instant douter de la valeur de la partition, évitant ainsi tout excès destiné à pallier de supposées faiblesses. Admirablement épaulée par I virtuosi italiani et par un chœur en état de grâce dont la ferveur donne à cette Giovanna d’Arco des allures de Requiem, sa lecture, mise en scène aidant, tire l’opéra de Verdi vers l’oratorio.
Saskia Boddeke et Peter Greenaway ont en effet décidé de bouleverser les codes. C’est le public qui occupe le plateau du Teatro Farnese aménagé en salle quand le parterre et les gradins forment la scène. D’un point de vue acoustique, il n’est pas certain que les spectateurs des derniers rangs y trouvent leur compte mais, lorsqu’on est placé au centre, comparé à Falstaff en 2011, la solution s’avère satisfaisante. Le son bien que flottant reste toujours net. La représentation devient prétexte à un show laser spectaculaire où colonnes et arcades sont utilisées comme support d’un jeu de lumières bluffant. Seul bémol, l’équipe scénique n’a pu résister à la tentation de la surenchère. Une image chasse instantanément l’autre, accordant au passage quelques concessions à une actualité dont on se demande ce qu’elle vient faire là (les migrants). Pour ajouter encore à l’hyperactivité visuelle, deux danseuses – la vierge et la guerrière – accompagnent Giovanna dans chacun de ses déplacements. S’il s’agit d’un parti-pris pour rendre acceptable un livret dont on a dit les aberrations, une écononomie d’effets n’aurait-elle pas été encore plus efficace ?