Prolifique auteur d’au moins 37 opéras et de 541 pièces de musique sacrée (dont 28 messes), Niccolò Antonio Zingarelli est aujourd’hui totalement oublié alors que certaines de ses oeuvres connurent d’immenses succès auprès du public. Né quatre ans avant Mozart, et mort après la retraite musicale de Rossini, le compositeur napolitain, attaché à ces formes anciennes, fut finalement considéré comme vieillot par ses contemporains, mais c’est oublier un peu vite son réel apport musical. Son Giulietta e Romeo, aujourd’hui considéré comme l’un des ses meilleurs ouvrages, reste musicalement typique de l’opera seria, mais innove en abandonnant les héros de l’Antiquité pour des personnages plus humains, plus proches des attentes du public de la fin du XVIIIe siècle. De l’opera seria, il garde la typologie vocale avec de grands airs pour castrats, ténors, sopranos, mais offre aussi des duos plus intimes, des ensembles plus vrais. L’œuvre ouvre en fait la porte à des ouvrages à venir, comme I Capuleti e i Montecchi de Vincenzo Bellini (le compositeur sicilien étudiera d’ailleurs auprès de Zingarelli). Créé en 1796 à la Scala de Milan, l’opéra se maintint au répertoire jusqu’en 1829, chaque reprise s’accompagnant d’ajouts, de modifications ou d’adaptation : le rôle de Romeo, créé par le castrat Girolamo Crescentini, fut même interprété par le soprano Giuditta Pasta ! La version proposée ici revient à l’original de 1796, mais en intégrant tout de même des ajouts : la nouvelle version de l’aria « Ombra adorata, aspetta » composée pour une reprise à Regio Emilia … par son interprète Girolamo Crescentini (le morceau eut un immense succès, au grand désespoir de Zingarelli !), la cavatine de Romeo « Che vago sembiante » et le duo des amants « Dunque mio bene ». Les récitatifs sont par contre légèrement écourtés.
L’intrigue ne s’inspire pas de la source shakespearienne et se déroule rapidement. Everardo Cappellio va marier sa fille à Teobaldo ce même jour. Romeo, du clan ennemi des Montaigu, se mèle à la fête et les deux jeunes gens tombent amoureux l’un de l’autre au premier regard, leur agitation étant remarquée mais non comprise immédiatement par les Capulet. Everardo confie ses doutes à Gilberto qui, ami de Romeo, souhaite la réconciliation des deux familles. Gilberto aide Romeo à rejoindre Giulietta et, après quelques hésitations, les deux jeunes gens se promettent un amour éternel sous le regard complice de la nourrice Matilde. Everardo veut imposer un mariage immédiat et, devant les réticences de sa fille, soupçonne de plus en plus une liaison avec Romeo. A l’extérieur, Capulet et Montaigu s’affrontent. Romeo tente de calmer les belligérants, mais il est provoqué par Teobaldo qu’il tue. En vain esssaie-t-il de se justifier auprès d’Everardo. A l’acte II, Gilberto plaide sans succès la cause de Romeo auprès d’Everardo. Le jeune homme tente lui-même inutilement de le convaincre. Gilberto propose à Romeo d’épouser Giulietta secrêtement le soir-même, mais le temps manque. Les amants se promettent le mariage. Everardo ayant décider d’enfermer sa fille dans un couvent, Gilberto fait boire à Giulietta un poison qui lui donnera l’apparence de la mort. La jeune fille boit la potion devant son père et s’écroule au désespoir de celui-ci. Au dernier acte, Romeo, qui n’a pas reçu le message de Gilberto l’avertissant de la supercherie, s’empoisonne sur la tombe de Giulietta. Quand celle-ci se réveille, il est trop tard et après un dernier duo, Romeo meurt. Giulietta appelle Gilberto, Everardo, Matilde et, devant toute l’assemblée, annonce qu’elle suivra son amant dans la mort. elle tombe inanimée.
La distribution est dominée par l’exceptionnel Romeo de Franco Fagioli. Le timbre est magnifique, la virtuosité inégalée, la coloration variée, mais c’est surtout par l’expressivité de son chant que le contre-ténor argentin achève de nous conquérir, exactement comme dans sa composition d’Orfeo. A peine regrette-t-on des variations un peu sages dans l’air final composé par Crescentini. La Giulietta d’Ann Hallenberg est également au sommet, d’autant que son timbre se marie magnifiquement avec celui de Fagioli dans les duos. La voix est souple, la technique assurée, les coloratures exécutées avec brio, et dramatiquement la mezzo-soprano sait elle aussi rendre palpable toute la gamme d’émotions de la jeune fille jusqu’à une scène finale déchirante. Pour rendre pleinement justice au rôle d’Everardo, il aurait fallu un ténor de la trempe de Rockwell Blake. Dans ce rôle assez éprouvant, le jeune Bogdan Mihai fait néanmoins mieux que de tirer son épingle du jeu, avec des vocalises bien exécutées, des aigus assurés mais pas assez brillants en raison d’une technique plutôt mozartienne. La voix manque également un peu de puissance, mais l’artiste est sympathique et il sera intéressant de suivre son évolution. Après Blake, c’est à Merritt qu’on songe pour Teobaldo, mais Juan Sancho assure lui aussi l’essentiel, avec un timbre plus ensoleillé que celui de son confrère. La voix de Xavier Sabata a un peu de mal à se faire entendre dans le rôle trop grave Gilberto. Irini Karaianni est une Matilde surprenante, offrant un chant magnifique et racé dans son unique air.
L’orchestre et les choeurs Armonia Atenea sont techniquement impeccables, mais la direction musicale de George Petrou manque un peu de folie, de liberté, semblant davantage suivre les chanteurs que les aider à se dépasser.