On connaît bien cette production de Madama Butterfly créée en 1993 et reprise de nombreuses fois depuis. C’est donc sans surprise que l’on s’immerge une nouvelle fois dans l’univers immuable de Bob Wilson, ses décors dénudées (ici un simple quadrilatère parqueté symbolisant la maison et un chemin tortueux), ses éclairage froids et sophistiqués (à dominantes blanches et bleues), ses costumes et attitudes empruntées au kabuki.
On en retire de belles images : les personnages arrivant par le fond de scène, se détachant comme des ombres chinoises, ou encore le décor plongé dans la pénombre au début du second acte d’où ne ressort que le visage blafard d’une Butterfly endormie. De même, la gestuelle lente et syncopée s’intègre plutôt bien à cet univers aux apparences feutrées mais où la violence affleure en permanence. Le risque est cependant grand, comme toujours chez le metteur en scène américain, qu’à force de recherche esthétique et de distanciation, les scènes soient vidées de leur impact émotionnel. Il faut donc une distribution de braise pour animer cet univers réfrigérant.
Et l’affiche est plutôt alléchante : une chanteuse italienne aux moyens imposants qui nous avait séduits en Madeleine de Coigny la saison dernière, un ténor fringant qui nous ne avait pas laissé insensible en Alfredo au MET, et un baryton à la carrière déjà longue et prestigieuse. Cette équation prometteuse ne tient malheureusement pas toutes ses promesses.
Micaela Carosi (Madama Butterfly) se taille un joli succès aux saluts. Ils viennent récompenser un tempérament dramatique qui trouve à s’exprimer à partir de son tête à tête avec Sharpless au milieu du second acte et qui culmine avec une scène finale bien caractérisée. Cela en fait-il pour autant une Butterfly ? Comment expliquer qu’un jour d’avril dernier l’on sorte d’une représentation de Madama Butterfly au New York City Opera, reniflant, lunettes de soleil sur le nez, alors que ce soir rien, ou si peu : une brisure dans le « No : non ditemi nulla » murmuré par la jeune fille qui découvre brusquement qu’on l’a trompée dès le début. Mais ailleurs, à New-York une Yunah Lee inconnue, avec peut-être le quart des moyens vocaux de Madame Carosi nous faisait chavirer, et ce soir rien… Cela se joue dès l’entrée en scène de l’héroïne : nous parvenant des coulisses, la voix, puissante, se détache du chœur de ses compagnes, mais fait entendre un lourd vibrato qui ne s’effacera jamais totalement au cours de la représentation. La chanteuse aura beau alléger, minauder, on ne croit guère à cette frêle japonaise de quinze ans, et l’on cherche vainement trace de fraicheur ou de fragilité. Le portrait ne devient crédible que lorsque la femme bafouée prend le dessus sur la jeune fille, mais trop tard.
Son Pinkerton a la silhouette longiligne de James Valenti, drapée d’un manteau blanc. On retrouve ce que l’on avait apprécié chez lui à New York : un medium joliment timbré, une véritable élégance et un chant nuancé. Malheureusement ces qualités sont bien vite éclipsées par une projection et une vaillance déficientes : le ténor américain est systématiquement couvert dès que l’orchestration se fait un peu dense. De plus le registre aigu manque ce soir singulièrement d’éclat. Méforme ? Choix de répertoire inadapté (il chante pourtant ce rôle un peu partout dans le monde) ? Incompatibilité avec la salle ? Le contraste avec sa prestation au MET huit mois auparavant est en tout cas troublant1.
A sa décharge il est peu aidé par Maurizio Benini qui semble davantage préoccupé à faire sonner son orchestre aux couleurs brillantes qu’à soutenir les chanteurs. La direction, par ailleurs solide, manque un peu de raffinement, les détails instrumentaux étant trop souvent noyés dans la masse.
Restent alors les personnages secondaires pour se consoler. Une Suzuki (Enkelejda Shkosa) qui sonne un peu mégère de prime abord, mais finalement s’avère sonore et touchante. Un Sharpless usé par la vie : Anthony Michaels-Moore, au timbre désormais bien gris, insuffle au consul une humanité qui transcende l’aspect purement vocal. Enfin un Goro (Carlo Bosi), à la projection exemplaire, parfait entremetteur, obséquieux et roué.
Mais l’on ressort le cœur à peine réchauffé par ce mélo que l’on aurait rêvé plus flamboyant.
1 La projection ne nous avait en tout cas pas parue confidentielle dans cette salle plus grande que Bastille.