L’ensemble unitedberlin, fondé dans l’année de la chute du mur, est un des groupes de musique contemporaine les plus intéressants d’Allemagne. Jusqu’alors peu connu dans l’hexagone, il a à son actif de nombreuses collaborations avec Wolfgang Rihm, György Kurtág, Toshio Hosokawa et d’autres compositeurs de renommée internationale. Un partenariat franco-allemand le lie désormais à l’ensemble Musicatreize de Marseille. À géométrie variable, il alterne entre projets de grande envergure et cadres plus intimes.
Actuellement en résidence au Konzerthaus Berlin, une des plus grandes salles de spectacles de la capitale allemande, l’ensemble propose une série de concerts intitulée Le Rêve de la résistance (Der Traum vom Widerstand), dont le volet final, présenté le 1er novembre dernier, est la représentation scénique d’une ambitieuse pièce radiophonique du compositeur Lutz Glandien (1954-), qui a des affinités manifestes avec la France. Ancien élève de Georg Katzer (1935-2019), qui était un des compositeurs les plus influents de la RDA et aussi dans l’Allemagne réunie, Glandien a une réputation d’artiste transgresseur. Une multitude d’œuvres interdisciplinaires mêlant danse, théâtre, musique électronique et vidéo en témoignent.
La Dernière Nuit – Le Rêve de la résistance ne déroge pas à la règle. Le livret crée un récit imaginaire composé de fragments de textes venant de la littérature de la résistance. Nous y rencontrons Dietrich Bonhoeffer, du côté allemand, Edith Thomas, Madeleine Riffaud mais aussi Camus et Eluard représentant la France, ainsi que le poète tchèque Jan Skácel. Des auteurs communément associés avec ce moment de l’histoire européenne, tels que Jean Moulin ou encore Louis Aragon, n’y figurent cependant pas. Le résultat est une sorte de « texte-fleuve » qui évoque les peurs et espoirs des combattants, l’emprisonnement, la lutte pour la liberté, allant de passages poétiques aux images plus crues qui posent une question centrale : « Que ferais-tu si c’était la dernière nuit de ta vie ? » Au vu de notre époque actuelle, ces préoccupations redeviennent virulentes.
L’œuvre pour ensemble, dispositif électronique, récitant, soprano et vidéo est la version plus ramassée d’une pièce chorégraphique intitulée ResisTanz, d’abord créée sous forme de film pendant le confinement, puis en public quelques mois plus tard. Si la musique est principalement d’inspiration consonante, voire modale, les idées se stratifient, se répandent, formant des structures plus complexes et chargées. À l’image des éléments du texte, l’équilibre entre écriture instrumentale et électronique et sans cesse renégocié. Par moments, le son est comme absorbé dans le timbre brut des percussions et des collages sonores partant de bruits anxiogènes : un cliquetis de clés, le claquement sec d’une porte, des pas qui s’approchent. L’idée de « catalogue », de cheminement hybride, n’est pas sans faire penser à des œuvres telle que Laborintus II de Luciano Berio – autre réflexion sur la mort et le temps. La vidéo contribue à cette sensation claustrophobe, mais également au soulagement lorsque l’esprit des incarcérés s’envole vers des régions inatteignables pour leurs ennemis.
Sous la direction précise et discrète d’Erich Wagner, la partition dévoile tous ces aspects imbriqués les uns dans les autres. La voix de Johanna Kaldewei, soprano suave, ne bascule jamais dans l’hystérie et flotte tel Le Chant des partisans – cité – au-dessus des tribulations de l’orchestre. La comédienne Sabine Falkenberg récite le texte, tantôt seul, tantôt superposé au chant, en français et allemand, tout en gardant une attitude de dignité et de simplicité qui, au même titre que les lignes vocales, s’oppose aux éclats émotionnels des instruments.
Le public réserve un accueil chaleureux à ce Rêve, ce qui trahit peut-être un certain besoin de fraternité et de courage dans ces temps inquiétants.