Jamais deux sans trois, et assurément cette dernière collaboration entre l’Opera Orchestre national de Montpellier Occitanie et Rafael R. Villalobos s’impose comme la plus aboutie. Le trublion andalou puise toujours dans ses humanités et son sens aigu de l’actualité pour composer une Iphigénie nourrie à sa source antique en même temps qu’elle évoque en filigrane le conflit qui secoue la porte de l’Europe et du monde slave. La Tauride c’est la Crimée et de là à Marioupol où le théâtre asile fut pris pour cible, il n’y a qu’un pas. Comme pour la Tosca tant décriée, Rafael R. Villalobos poursuit différentes trames narratives. Entre la scène du théâtre et sa fonction cathartique qui ouvre et referme la représentation, le décor en bâtiment déchiré par les bombes qui s’abattent pendant l’orage de l’ouverture, les costumes qui évoquent tant les réfugiés que des treillis militaires, le metteur en scène se concentre sur la tragédie de peuples frères déchirés comme peuvent s’entretuer les Atrides. Ce dernier axe, classique et antique, sera bien la ligne majeure d’une mise en scène acérée ou la direction d’acteur ne souffre d’aucune faiblesse. Deux scènes très courtes d’Euripide et de Sophocles ouvrent avec élégance les deux parties de ce spectacle. Cela donne d’autant plus de force aux évocations ukrainiennes ou à la démonstration metatextuelle qui ne sont jamais imposées ou ne parasitent la lecture de l’oeuvre.
Ce juste dosage des référents qui irriguent la scène se transmet à la distribution. Si celle-ci n’est pas exempte de défaut, l’engagement de tous les protagonistes se doit d’être souligné. Armando Noguera se bat contre une diction du français rétive, ce qui vient hacher tant la ligne que l’expression. Son Thoas n’en demeure pas moins sonore. Valentin Thill dispose et du style et du timbre attendu dans ce rôle noble de ténor. Il fait de Pylade un héros aussi tendre que résolu. Jean-Sébastien Bou brule et les planches et sa voix. Si son Oreste désespéré se compose d’un seul bloc sonore imposant, on reste pantois devant l’incarnation. Les scories sont nombreuses, la justesse mise à mal à l’occasion, mais qu’importe si le théâtre est à ce prix. Vannina Santoni épouse la prosodie et la ligne gluckienne avec évidence. Certes, elle manque d’assise dans le grave et peine encore à varier les couleurs pour étoffer son portrait de l’éplorée déchirée entre ses devoirs contradictoires. Elle déploie cependant un chant lumineux qu’elle redouble d’une présence scénique aussi efficace qu’elle est minimaliste. Les seconds rôles et surtout le chœur rejoignent l’engagement intense de ces quatre protagonistes.
Pourtant, ils ont fort à faire avec les choix radicaux qu’opère Pierre Dumoussaud. Il entraîne cette formation classique dans une course folle digne d’une phalange baroque dès les premiers coups de tonnerre. Son geste vif trouve des contrastes extrêmes dans les tempi et les nuances. Le tout tend le drame vers un point de rupture plusieurs fois effleuré : les chœurs manquent plusieurs départs, les solistes luttent parfois contre les décibels, les violons perdent tout soyeux et les vents se dissipent parfois. Mais là encore, force est de reconnaître l’intelligence de la proposition et de constater que cette fosse soufflante et grondante irrigue le plateau autant qu’elle participe de la réussite globale de cette proposition.