La présente production est une reprise d’un spectacle présenté en octobre 2018 à l‘Opéra-Comique de Paris déjà abondamment repris depuis lors, notamment à Liège en Belgique ; il a donc été largement commenté dans nos colonnes, d’autant qu’un enregistrement DVD en a été fait, que l’équipe de Forum Opéra n’a pas manqué de recenser également.
Il existe une grande quantité de versions différentes du plus célèbre opéra de Gluck, nées à l’occasion des diverses reprises de l’œuvre aux quatre coins de l’Europe du vivant du compositeur, mais aussi après sa mort, preuve que l’œuvre exerce une certaine fascination et un intérêt renouvelé au fil des générations. Le choix s’est porté ici sur la version qu’en a réalisée Berlioz, qui tenta par son remaniement une sorte de synthèse entre différentes versions du compositeur, mais qui y mit quand même bien des éléments personnels, notamment dans l’orchestration qui tire la partition vers le romantisme sans doute plus que de raison. Raphaël Pichon, qui dirigeait la version de Paris en 2018, y ajouta quelques extraits d’autres pages de Gluck pour compléter le tout, et cette version Gluck/Berlioz/Pichon n’est pas moins réussie que les autres.
Sur le plan dramatique, l’œuvre ainsi remaniée paraît resserrée, densifiée, avec une fin abrupte sur le désespoir d’Orphée, laissant une grande place à la déploration du pauvre amoureux.
© Pierre Grosbois
La mise en scène met en œuvre un dispositif scénique de grande ampleur, formé d’un miroir sans tain placé à 45° au-dessus du plateau et qui renvoie vers le spectateur une vision zénithale de la scène. De subtils jeux de lumière permettent de superposer deux images (la vue de face et la vue d’en haut) et même de faire intervenir des éléments visuels situés derrière ce miroir, les possibilités de ces dispositifs sont étonnantes. Une trappe au centre du plateau permet de faire disparaitre certains éléments de décor, ou certains personnages, augmentant l’impression de mystère et de féérie. Aurélien Bory qui signe cette mise en scène, en joue savamment, créant des images magnifiques, d’une froideur un peu statique, bien en phase avec le classicisme plutôt raide de la partition. Le basculement de ce miroir lorsqu’on passe du monde des vivants à celui des morts est plein de sens, plus sans doute que les référence à la peinture de Jean-Baptiste Corot dont la toile Orphée ramenant Eurydice des Enfers largement agrandie sert de tapis de sol au plateau.
Les mouvements des personnages sont réduits au strict minimum, la plupart des airs sont chantés de face, à l’avant-scène, les bras le long du corps, ce qui entraîne assez vite une certaine lassitude et n’est guère porteur pour les imaginations qui voudraient se laisser aller au rêve.
Le recours à toute une équipe de circassiens ne suffit pas à créer le mouvement, l’impression générale serait plutôt celle d’un temps arrêté ou fort ralenti, d’une suspension du mouvement autour de la douleur d’Orphée – au mieux. Au pire, celle d’une impossibilité à créer autre chose qu’une suite de tableaux, à imprimer le rythme d’un récit et d’une action à travers l’évolution des personnages sur la scène.
Les choix esthétiques sont peu clairs : sommes-nous dans un univers romantique, comme le suggérerait la référence à Berlioz, voire post romantique, par le choix de la toile de Corot, ou dans un classicisme encore bien sage, celui de Gluck et de l’expression figée des sentiments ? Chaque alternative est défendable, mais pour trouver de la cohérence, il faut faire un choix.
Musicalement, le fait d’avoir confié la partition à un orchestre spécialisé dans la musique du XVIIIe siècle et d’avoir réuni une distribution vocale elle aussi tournée vers cette esthétique, est en soi un parti pris. Mais alors, pourquoi avoir choisi la version de Berlioz qui tire clairement vers d’autres références sans cesse présentes à l’oreille ? La réalisation s’en voit affectée : l’orchestre, pas très précautionneux, couvre sans cesse les voix, en particulier dans le registre grave, celui où Orphée s’exprime si joliment dans la partition originale. La voix de Marie-Claude Chappuis, (Orphée) chaude, à l’articulation très soignée mais pas très puissante, se perd dans la masse orchestrale. Seuls les airs où l’accompagnement instrumental est très réduit lui permettent de donner la pleine mesure de son talent et de créer une émotion musicale. Le reste du temps, la projection vocale est insuffisante pour créer un impact émotionnel. Mirella Hagen (Eurydice) possède un petit vibrato serré quasi systématique qui ne permet guère d’autres couleurs. Le rôle dans cette version est assez réduit, le personnage n’est guère sympathique, de sorte que toute l’attention émotionnelle se porte sur Orphée. La jeune Julie Gebhart qui chante Amour se plie avec beaucoup de grâce aux caprices d’une mise en scène qui ne lui épargne pas les acrobaties. La voix parait fragile au premier abord, mais s’épanouit ensuite avec bonheur.
La phalange tchèque et son chef Vaclav Luks nous ont habitué à des réalisations plus soignées. Aura-t-on manqué de temps pour mettre au point cette reprise ? Toujours est-il que le résultat mardi soir n’était guère satisfaisant pour l’oreille, essentiellement par manque de soin, d’attention aux chanteurs et de recherche de couleurs instrumentales adéquates.