Giuseppe VERDi
(1813-1901)
Macbeth
Opéra en quatre actes
Livret de Francesco Maria Piave, d’après William Shakespeare
Nouvelle production
Coproduction avec l’Opéra de Monte-Carlo
Mise en scène : Francisco Negrin
Décors et costumes : Louis Désiré
Lumières : Bruno Poet
Macbeth : Bruno Caproni
Banco : Wojtek Smilek
Lady Macbeth : Elisabete Matos
Macduff : Sebastian Na
Malcolm : Enrico Casari
Une servante : Aline Gozlan
Un assassin : Mario Brazitzov
Un serviteur : Young-Min Suk
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre Symphonique de Mulhouse
Direction musicale : Enrique Mazzola
Strasbourg, Opéra, 25 avril 2010
Gothique
On connaît le film gotico-sanguino-grandiloquent de John Boorman, Excalibur. C’est dans une ambiance similaire que nous plonge Francisco Negrin avec cette nouvelle production de Macbetto. Le décor de Louis Désiré représente en effet un sinistre trou de mine dont l’un des pans voit évoluer trois sorcières-araignées-nornes (tissant un fil de la destinée ?) assez saisissantes. L’étroitesse de l’espace scénique et son absence de modifications se révèlent être cependant des inconvénients car elles ne permettent pas d’apporter une variété qui aurait été bienvenue pour différencier les lieux et les tableaux (la scène du banquet, la scène finale avec la forêt qui avance en auraient bien eu besoin). Le climat noir et sordide qui se dégage est, lui, en adéquation avec le sujet mais l’accumulation de meurtres, cadavres, cris et râles devient lassante. Était-il en effet nécessaire de vouloir absolument tout montrer ? Du meurtre de Duncano, qui vient trépasser sur scène, au meurtre de la femme de Macduff et ses enfants par Macbetto (pendant le sublime chœur « Patrio oppressa »), la scène est constamment en agitation. Était-il aussi utile de montrer plus que nécessaire ? De l’accouchement de Lady Macbetto pendant le ballet à son suicide à la fin de la scène du somnambulisme, on n’est pas loin de la nausée sinon du grotesque. C’est comme si Negrin ne faisait pas assez confiance à l’histoire, suffisamment étouffante, au livret, remarquablement construit, et à la musique, pourtant assez évocatrice.
Autre problème majeur, une « désynchronisation » entre image et musique récurrente et déplaisante. Ainsi, Macbetto fait son entrée dès le début de la deuxième scène (c’est d’ailleurs lui qui « lit » la lettre que son épouse est censée lire), et non après le monologue de Lady Macbetto. Du coup, la consigne de celle-ci « Faîtes-lui l’accueil qu’un Roi mérite » et les retrouvailles entre les époux qui suivent n’ont plus guère de sens ! Le problème est similaire avec Macduff sortant du château paniqué par ce qu’il a en principe vu (le cadavre de Duncano) mais ici, qu’a-t-il vu puisque le Roi est venu mourir à l’avant-scène auparavant ? Désynchronisation encore avec Banco, tué par les hommes de Macbetto pendant leur chœur. Du coup, leurs derniers mots « Attendons-le en silence » sont ridicules ! Très contestable enfin le remplacement du rôle du médecin par Macbetto assistant ainsi à la scène du somnambulisme de Lady Macbetto (ce qui rend les interrogations du médecin totalement idiotes : Macbetto sait bien pourquoi son épouse cherche sans arrêt à se laver les mains et ce qu’elle dit dans son sommeil !).
De tels exemples sont légion et malmènent singulièrement l’œuvre qui n’en demandait pas tant.
La partie musicale nous réserve heureusement de plus grandes satisfactions, à commencer par une superbe direction d’Enrique Mazzola. D’un grand dramatisme, mais aussi d’un grand soin du détail, servant toujours les chanteurs, on ne peut qu’être séduit. On regrettera cependant des coupures dans le ballet (à quoi bon le jouer si c’est pour ne pas le faire intégralement ? La musique en est pourtant fort belle), l’absence de banda au premier acte ou la lenteur de certains tempi (le brindisi est ainsi un peu laborieux et haché). L’Orchestre Symphonique de Mulhouse semble métamorphosé sous cette baguette experte : il brille de mille feux et offre une remarquable prestation.
Le plateau est dominé – c’est peu dire – par la stupéfiante Lady Macbetto d’Elisabete Matos dont on ne sait qu’admirer le plus : le timbre, superbe, la ligne de chant, toujours élégamment conduite (les graves poitrinés sont ainsi émis sans force et ne détonnent pas, les vocalises sont parfaitement en place), l’interprète, stylée (grand soin dans les cadences par exemple). Si on ajoute à cela un investissement de tous les instants, on obtient une performance intense et absolument admirable. Nul doute que toutes ces qualités, alliées à une puissance non négligeable, feront d’elle une grande wagnérienne (elle a déjà abordé Senta). Notre seule réserve concerne la scène du somnambulisme qui est bien peu celle d’une somnambule : trop terre-à-terre, pas assez de nuances dans ce prodigieux passage hors du temps. Ici, tout est trop vite et trop fort (y compris le ré bémol final). C’est dommage.
Le Macbetto de Bruno Caproni n’emporte pas autant l’adhésion. La faute à un timbre assez commun, une voix qui, si elle affiche un beau registre grave, se « disperse » dans les aigus. Les effets sont en outre un peu téléphonés. Le tout est honnête mais n’enthousiasme pas. C’est également le cas du Banco de Wojtek Smilek dont la voix trahit une certaine usure. Le très beau Macduff de Sebastian Na tranche avec cette grisaille avec son timbre solaire et une musicalité exemplaire.
Des seconds rôles, on distinguera un superbe Malcom d’Enrico Casari, et des chœurs, on retiendra la superbe tenue, notamment dans ce chef-d’œuvre que constitue à lui seul le chœur « Patria oppressa ».
Pierre-Emmanuel Lephay
Prochaines représentations :
à Strasbourg : 2 mai à 15 h., 4 et 6 mai à 20 h.
à Mulhouse (Filature) : 16 mai à 15 h. et 18 mai à 20 h.