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GOUNOD, Le Tribut de Zamora – Saint-Etienne

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Spectacle
9 mai 2024
La distance est grande, parfois, de la coupe aux lèvres

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Grand opéra en quatre actes, Lusique de Charles GounodL
livret de Adolphe D’Ennery et de Jules Brésil
Créé le 1er avril 1881 à l’Opéra de Paris

Coproduction Opéra de Saint-Etienne, Palazetto Bru Zane – Centre de musique romantique française

Détails

Mise en scène
Gilles Rico
Scénographie, costumes
Bruno de Lavenère
Lumières
Bertrand Couderc
Chorégraphie
JeanPhilippe Guilois

Xaîma
Chloé Jacob
Hermosa
Elodie Hache
Iglésia, l’esclave
Clémence Barrabé
Manoël
Léo Vermot-Desroches
Ben-Saïd
Jérôme Boutillier
Hadjar, le Roi
Mikhail Tomoshenko
L’alcade mayor, le cadi
Kaëlig Boché

Orchestre symphonique de Saint-Etienne-Loire
Choeur lyrique de Saint-Etienne Loire
Chef de choeur
Lurent Touche

Direction musicale
Hervé Niquet

Saint-Etienne, Opéra, Grand Théâtre Massenet, 5 mai 2024, 15 h

Les paroles que chante Ben Saïd à l’attention de Manoël s’appliquent – malheureusement – à l’audacieuse production stéphanoise du Tribut de Zamora, attendue avec intérêt, qui a mobilisé le plus grand nombre d’auditeurs comme de critiques. Laurent Bury concluait son compte rendu de l’album publié en 2018 « … ce Gounod longtemps confisqué, c’est sur scène qu’il faut nous le rendre ». Une fois encore, c’est au Palazetto Bru Zane – Centre de musique romantique française que l’on est redevable de la redécouverte de cet ouvrage. Après en avoir confié la responsabilité à Hervé Niquet lors de sa recréation en version de concert (Munich, 2018), suivie d’une version discographique (1), l’institution qu’anime Alexandre Dratwicki a uni ses efforts à ceux de l’Opéra de Saint-Etienne, réputé pour l’intérêt qu’il porte à la musique française, pour « nous le rendre » à la scène.

Après l’échec de Polyeucte, Gounod semblait las de l’opéra et accordait davantage d’importance à sa production religieuse, c’est un fait. Mais pourquoi avoir boudé si longtemps son dernier ouvrage lyrique ? Etait-il indigne de sa plume ?  La rivalité entre les grands éditeurs du temps n’y serait-elle pas étrangère ? La partition avait été confiée à Choudens, le concurrent était Heugel. Or, Le Ménestrel, le plus important hebdomadaire musical, dont la longévité fut exceptionnelle, servait avant tout les intérêts de cette maison. Le surlendemain de la création, Henri Moreno lui consacrait plusieurs colonnes (2), citant certes les plus belles pages, mais concluant : « Il en est ainsi de la plupart de nos partitions modernes : elles manquent d’unité et de concision, parce qu’elles sont écrites en vue de satisfaire toutes les exigences [individuelles, des chanteurs, et du public] ; et, par suite, n’en satisfont souvent aucune. »

Le livret nous plonge dans cette Castille médiévale, où les chrétiens ont été défaits par les envahisseurs arabes (3). Les vaincus leur doivent un tribut annuel de cent vierges. A Zamora, vingt suffiront (réduites ce soir à deux en scène), au nombre desquelles l’héroïne, à la veille de son mariage avec Manoël. Ben Saïd, qui conduit la délégation arabe, s’est épris de Xaïma, devenue sa captive. Ajoutez une folle, Hermosa, qui retrouvera la raison en se découvrant mère de la jeune femme, un dignitaire arabe, frère de Ben Saïd (Hadjar) sauvé par le fiancé lors d’une bataille et vous aurez les ingrédients d’une action invraisemblable, qui s’inscrit dans les conventions du grand opéra à numéros. Grandes scènes de foules, évocation des combats, défilés triomphaux – avec musique sur scène – sont conviés pour répondre aux attentes du public, friand de mélodrames historiques et d’exotisme pittoresque, fût-il de pacotille. Alternent avec les scènes spectaculaires des numéros intimes, la leçon de Meyerbeer et de Verdi a été retenue par Gounod (4).

Le prélude est l’occasion d’amorcer une lecture singulière : sur un lit d’hôpital, une patiente, que l’on croit identifier à Hermosa, est prise de convulsions hystériques. Un médecin assiste à la scène, assisté d’une infirmière et d’un photographe – référence aux travaux de Charcot sur l’hystérie, à La Salpêtrière. En effet, Gilles Rico, qui signe la mise en scène, a choisi de « raconter cette histoire du point de vue de Xaïma [on avait faux sur l’identité de la patiente !], comme une crise hallucinatoire », où le chloroforme sera utile. Hélas, loin de faire oublier les invraisemblances du livret, la transposition les accentue. Pourquoi avoir fait de l’héroïne une démente hallucinée, nous entraînant dans l’univers psychiatrique, Hermosa ne suffisait-elle pas ? Pourquoi la substituer à sa mère pour poignarder Ben Saïd ? L’histoire n’y gagne ni en vraisemblance, ni en lisibilité. Tout ce qui relève du « grand opéra » a été balayé : pas de scènes de foule, de combats, de défilés, de musiciens en scène, de danses (l’ample ballet réduit à trois fois rien), l’ouvrage apparaît dénaturé. L’artifice substitué ne fonctionne pas mieux que l’incroyable fiction racontée par le livret. Pis, il fait trop souvent écran à l’émotion.

Le cadre est unique, drapé de noir, où le blanc contraste : un amphithéâtre en ruine, déséquilibré, avec, en son centre, un ingénieux dispositif formé de deux éléments, l’un émergeant,ou s’enfonçant dans le sol, l’autre – élément lumineux de même format, descendant ponctuellement des cintres pour en constituer le couvercle. Voilages et lumières vont renouveler le décor des différentes scènes. Les costumes des solistes et du chœur, inventifs à souhait, participent à cet univers onirique. L’ Atelier de l’Opéra de Saint-Etienne, au savoir-faire reconnu, confirme  ici son excellence.

© Cyrille Cauvet

Seule la force du chant et l’engagement des interprètes seront générateurs de l’émotion que voulait communiquer Gounod. Bien que la direction soit encore confiée à Hervé Niquet, la distribution, sans faiblesse, est totalement renouvelée, même si Jérôme Boutillier, qui chantait le Roi à Munich (donc dans le CD), s’empare maintenant du personnage central de Ben Saïd. Presque totalement française (seul, Hadjar et le Roi sont chantés par Mikhail Timochenko), la clarté de l’élocution est exceptionnelle, commune à tous. Totalement engagée dans ces prises de rôle, l’équipe est superbe, qui sera très longuement ovationnée au final.

Peut-être conséquence de l’effort physique des convulsions obligées, après un début malaisé, Chloé Jacob, Xaïma, ira progressant. La voix est riche en couleurs, avec des aigus aussi lumineux que les graves solides. Toute la palette expressive est maîtrisée avec bonheur. L’amoureuse se muera en courageuse révoltée, forte de son amour et de celui de son pays. Créée par Gabrielle Krauss, qui valut à l’ouvrage de se maintenir cinquante soirées lors de sa création, Hermosa, Élodie Hache, n’apparaît qu’à partir du II, habitée par sa folie.  « Que me dis-tu ? ».  Authentique soprano dramatique, son chant émeut (« Pitié, car je ne suis qu’une tendre hirondelle ») et son jeu n’appelle que des éloges. Iglésia et l’esclave sont confiées à Clémence Barrabé, voix fraîche, candide pour ce rôle épisodique. Léo Vermot-Desroches s’empare du rôle de Manoël, avec une stupéfiante aisance. On apprécie l’émission claire, vaillante, la ligne soutenue, dès son Aubade, et jusqu’à sa Cavatine finale (avant son ultime duo avec Xaïma). Que de chemin parcouru depuis son prix au Festival de Froville, que de promesses aussi ! Ben-Saïd est certainement la composition la plus réussie, un nouveau défi pour Jérôme Boutillier. Magnifique incarnation, juste, de ce personnage fascinant avec des moyens vocaux idéaux et un jeu exemplaire. La voix, ample, bien timbrée, expressive à souhait, sait se faire impérieuse, mordante, violente, comme tendre (« Ô Xaïma, daigne m’entendre »), suppliante, pour un personnage attachant malgré sa fonction d’oppresseur. Le jeu dramatique n’est pas moins remarquable. Seul bémol : La surprenante violence physique paroxystique dont Xaïma sera la victime, violée, n’ajoute rien, voire altère la crédibilité de ce personnage complexe, riche en autorité comme en humanité. Outre le Roi, Mikhail Timoshenko nous vaut un Hadjar éblouissant, rayonnant, noble et sensible. La voix est chaleureuse, d’une conduite exemplaire. L’alcade Mayor, le Cadi trouvent en Kaëlig Boché un interprète de grande qualité : son autorité vocale lors de la vente aux enchères est bien réelle.

Il faut souligner la fluidité de l’écriture de Gounod : bien que les numéros traditionnels se succèdent, les enchaînements s’effectuent avec naturel, sans rupture. Les multiples ensembles sont un bonheur, les duos tout particulièrement, Manoël-Xaïma (« Ô joie immense »), Manoël-Hadjar (« Dans la nuit où je marche »)… Xaïma-Hermosa, pathétique. Chacun mériterait d’être signalé. Le trio des hommes (« O jeu du sort ») avant la scène du duel est aboutie. Enfin, le septuor avec chœur de la fin du II est magistral et confirme que Gounod savait encore écrire, malgré le fréquent recours au recyclage, aisément identifiable, tel le carillon, qui rappelle celui de l’Arlésienne, tel l’hymne nationale, qui sent son « Gloire immortelle à nos aïeux »…

Le chœur, très sollicité durant les deux premiers actes, nous vaut de beaux moments, quels que soient les groupes qu’il incarne, et le caractère de leur chant. Le bonheur à diriger d’Hervé Niquet, est manifeste, et contagieux. Il imprime son dynamisme, appréciable, même si la fougue entraîne ponctuellement quelques décalages. La tension grandissante de la scène des enchères est conduite avec art, efficace. Les effets dramatiques, y compris le pompiérisme alors obligé (les passages martiaux, l’hymne…), sont bien illustrés, les pages tendres, élégiaques, soigneusement orchestrés par Gounod, manquent parfois de clarté comme de séduction, de délicatesse. Les soli instrumentaux (hautbois, violoncelle…) semblent estompés par le tissu orchestral. Mais le lyrisme est bien présent, servi avec générosité et sensibilité.

Malgré une transposition alambiquée, qui sonne faux, la qualité du chant, la beauté visuelle de la plupart des tableaux valent aux interprètes de nombreux rappels du très nombreux public, chaleureux.

(1) Berlioz aux Anglais, Gounod aux Allemands ; « Miroirs de Gounod : le Tribut de Zamora » ; Vous l’aviez pris, rendez-le nous
(2) Reproduisant Le Figaro, auquel il empruntait le résumé du livret. Et le numéro suivant enfonçait le clou. La critique allait s’inscrire dans la même veine, jusqu’à Gérard Condé, en passant par Landormy (« Le Tribut de Zamora ne mérite plus de sortir des rayons d’une bibliothèque où cette partition ne figure que pour ne point laisser de lacune dans la collection des œuvres complètes de Gounod. »), Hillemacher et autres (« La dernière tentative de Gounod à l’Opéra était une défaite. »). Victorin Joncières, ami du compositeur, fut un des rares à manifester son admiration pour l’ouvrage.
(3) Le Cid reconquiert Zamora en 1093.
(4) la même année, en 1881, Verdi produit la version révisée de Simone Boccanegra, sans commune mesure avec l’ultime ouvrage lyrique de Gounod.

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Gilles Rico
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Lumières
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