Ce samedi 23 mars, le Metropolitan Opera proposait dans les cinémas Roméo et Juliette dans la production de Bartlett Sher créée fin 2016 et déjà retransmise en janvier 2017 avec Vittorio Grigolo et Diana Damrau. Cette fois, c’est au tour de Benjamin Bernheim et Nadine Sierra d’incarner les amants maudits au sein d’une distribution entièrement renouvelée. Loin des places ensoleillées de Vérone, le décor unique imaginé par Michael Yeargan est constitué de gigantesques façades de couleur sombre, ornées de colonnades et de balcons qui encadrent un espace rectangulaire, tour à tour salle de bal, jardin de Juliette, place de marché, chambre à coucher ou tombeau. Au quatrième acte, le lit nuptial est figuré par un gigantesque drap disposé sur le terre-plein central et au cinquième, quelques tombes alignées figurent la crypte des Capulet. Ce décor monumental crée une atmosphère oppressante dans la salle du Met à laquelle échappent en partie les spectateurs des cinémas puisque les caméras se concentrent davantage sur les mouvements des personnages et leurs expressions que sur les plans d’ensemble. L’action est transposée au dix-huitième siècle comme en témoignent les beaux costumes de Catherine Zuber, en particulier les somptueuses tenues que porte Juliette. La direction d’acteurs est particulièrement soignée, au deuxième acte par exemple, le duo entre Roméo et Juliette est traité comme un jeu de cache-cache entre adolescents. Remarquablement réglés par B. H. Barry, les duels du troisième acte, aussi réalistes que spectaculaires, paraissent tout droit issus d’un film de cape et d’épée.
La distribution est globalement d’un niveau élevé. Si le duc de Vérone de Richard Bernstein a paru quelque peu falot, Thomas Capobianco et Jeongcheol Cha, respectivement Benvolio et Gregorio, se sont montrés pleinement crédibles dans leurs rôles ainsi que Daniel Rich, Pâris déplaisant à souhait. Eve Gigliotti campe une Gertrude truculente avec une voix ronde et cuivrée. En revanche le vétéran Nathan Berg n’est plus que l’ombre de lui-même. Avec son timbre émacié, Il incarne un comte Capulet vieilli prématurément. Will Liverman possède une voix riche et sonore, sa ballade de « la reine Mab » lui a valu un franc succès de même que la scène sa mort, sobre et émouvante. Très à son aise sur le plateau lors de ses deux duels, Frederick Ballentine manie l’épée avec dextérité. Son Tybalt agressif est servi par une voix sonore et bien projetée. Le page espiègle et facétieux de Samantha Hankey n’est pas dépourvu de charme, son air « Que fais-tu blanche tourterelle » chanté avec grâce et une pointe d’humour était tout à fait convaincant malgré un suraigu légèrement acide. Alfred Walker possède un timbre sombre et un registre grave profond, néanmoins son Frère Laurent débonnaire a paru quelque peu en retrait.
Nadine Sierra se trouve désormais à l’apogée de sa carrière comme en témoignait sa récente Violetta à Paris. L’ampleur de ses moyens, ses aigus glorieux, sa ligne de chant nuancée et sa diction superlative font d’elle une Juliette de grande classe. D’aucuns pourraient trouver sa voix un peu trop opulente à l’acte un pour évoquer une jeune fille à son premier bal mais on ne se plaindra pas que la mariée soit trop belle. Son air du poison, incarné avec une émotion et un engagement spectaculaires, lui a valu une interminable ovation de la part du public. Enfin, son duo final poignant aura arraché des larmes à plus d’un spectateur. Benjamin Bernheim réitère à trente ans d’intervalle le miracle de Roberto Alagna. Son Roméo se hisse d’emblée parmi les plus grands titulaires du rôle. On ne sait qu’admirer le plus, l’élégance de son phrasé, la perfection de sa diction, la suavité caressante de son timbre, les nuances dont il parsème sa ligne de chant ou son engagement dramatique hallucinant. Sa voix se marie idéalement avec celle de Nadine Sierra au point que leurs duos aux affects contrastés comptent parmi les plus grands moments de la soirée. Soulignons également la belle prestation des chœurs préparés par Donald Palumbo.
Au pupitre Yannick Nézet-Séguin, très à l’aise dans ce répertoire dont il maîtrise parfaitement le style, offre une direction grandiose tant dans les pages dramatiques comme le final de l’acte trois, que dans les scènes purement élégiaques comme le duo qui ouvre le quatrième acte.
Le samedi 20 avril, le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live La Rondine avec Angel Blue et Jonathan Tetelman.