Dans la production de Roméo et Juliette d’Eric Ruf, vue à l’Opéra Comique et adaptée de celle de la Comédie française, un Pati succède à un autre. A Paris, Pene remplaçait au pied levé et triomphait. A Rouen, son frère cadet Amitai fait ses débuts. Dans la famille, lyrisme, phrasé et diction coulent de source, l’aisance à l’aigu et la générosité de même. Le timbre un rien plus nasal d’Amitai Pati contribue au portrait d’un Roméo attendrissant. Si la projection et le volume sont limités, la prise du rôle de ténor est tout à fait convaincante. Olga Kulchynska remporte la palme de la soirée en Juliette. Elle se rit des embuches du rôle et délivre un air poignant tout en crescendo au quatrième acte. Le reste de la distribution participe à la fête vocale rouennaise. Sarah Laulan compose une Gertrude joyeuse et tendre. Jérôme Varnier habite Frère Laurent de son timbre profond. Philippe-Nicolas Martin parade tant scéniquement que vocalement en Mercutio et Jean-Fernand Setti incarne tout à fait la bonhommie et l’autorité du Comte Capulet. Distribuer Stéphano au sopraniste Bruno de Sà s’avère un choix judicieux : le virtuose brésilien dispose du volume et de la technique pour faire de sa scène un moment de respiration comique et de jubilation vocale. Tybalt lui tient la dragée haute. Julien Henric confère à l’arrogant Capulet toute la morgue et le volume nécessaires dans une incarnation aussi réussie que détestable. Seul Halidou Nombre passe, ce soir-là, à coté de la courte scène du Duc de Vérone. Enfin, comme à Paris, les Chœurs Accentus /Opéra de Rouen Normandie s’avèrent aussi à l’aise scéniquement qu’homogènes.
En fosse, Pierre Dumoussaud, régulièrement invité sur ces bords de Seine, signe une nouvelle fois une direction d’orchestre magistrale. Si les scènes de groupe sont prises tambour battant, cela ne nuit en rien à la liaison avec le plateau ou aux couleurs de l’orchestre tout en dynamisant l’action. Les pages plus lyriques et les duos trouvent la quiétude et le soupçon de rubato pour pimenter les ébats.
La production est désormais connue. Elle aura bonifié en passant de la Comédie française – où Shakespeare est pénalisé par la mauvaise traduction hugolienne – aux institutions lyriques. Eric Ruf dit apprécier qu’à l’Opéra, la masse et le groupe fassent passer ce que le théâtre ne peut faire que par les mots et l’intention. De fait, son décor aride d’Italie du Sud offre un certain nombre de ressorts scéniques qu’une bonne direction d’acteur vient surpiquer. Même si le choix de la temporalité (pourquoi l’Entre-deux-guerres pour évoquer les vendetta mafieuses ?) laisse perplexe, il permet à Christian Lacroix et aux équipes techniques de faire étalage de leurs talents artisans.