Malgré une rencontre gourmande, pas de viennoiseries à cet ultime concert d’une série de quatre où, dans des lieux emblématiques de la capitale bourguignonne, l’ensemble va à la rencontre des publics. Le croissant désigne l’arc continental de diffusion de la musique baroque allant de la Sicile à Saint-Pétersbourg, en passant par Naples, Rome, Venise, l’Europe centrale et la Pologne. Les Traversées baroques, au fil du temps, nous valent de belles découvertes, tant d’œuvres italiennes que polonaises. Etienne Meyer, qui dirige l’ensemble, s’est attaché à rendre vie à bien des compositeurs de la cour des Vasa à Cracovie. Marcin Mielczewski fut l’un des plus grands de son temps, et nos interprètes ont récemment gravé nombre de ses œuvres, qui sont autant de révélations. On lui doit une production considérable, d’une grande richesse, où Venise, son style concertato et sa polychoralité sont omniprésents. Cracovie accueillait nombre d’Italiens, dont Marenzio et Merula. Comme Zielenski, le doyen, Pekiel (auteur du premier oratorio polonais) et Usper, qui figurent au menu, Mielczewski est pratiquement contemporain de Monteverdi. C’est pourquoi les deux compositeurs sont associés dans ce beau programme, l’Italien, avec un splendide Laetatus sum (1615) placé au centre, ouvre et ferme le concert par deux des plus belles pages des Vêpres à la Vierge, bien connues. L’ample Dixit Dominus a toute la variété attendue, entre tutti et soli, avec ses ritournelles. Tout juste pouvait-on attendre une dynamique et une lisibilité accrues dans la vaste nef à l’acoustique généreuse. Elles se signaleront ensuite.
Vincent Bouchot et les Traversées baroques © Edouard Barra
Le Laudate pueri de Merula, confié aux deux sopranos et à la basse, où violon et cornet vont rivaliser de virtuosité, est remarquablement interprété. Découverte que ce Dulcis amor Jesu, que signe Pekiel : l’harmonie entre les cinq solistes est exemplaire. Le bonheur à chanter et accompagner le Laetatus sum de Monteverdi se traduit par une jubilation communicative : les violons dialoguant avec les deux sopranos sur la basse obstinée, les voix d’hommes, les cornets et sacqueboutes, la ternarisation, le puissant passage homophone qui ramène ensuite l’ostinato pour l’accélération finale sont propres à conquérir tous les auditeurs. La déclinaison polonaise du style vénitien (le Nisi Diminus de Mielczewski), où les soli virtuoses contrastent avec le tutti choral, traduit de la part du compositeur une assimilation parfaite du langage pratiqué à Saint-Marc. Il en ira de même pour le Lauda Jerusalem, puis dans le Virgo prudentissima, où Capucine Keller répond depuis la chaire, créant un effet de spatialisation spectaculaire. Par-delà la virtuosité vocale et instrumentale, la plénitude des ensembles doit être soulignée. Entretemps, nous découvrons avec bonheur une sonate à huit de Usper, qui fait la part belle aux cornets et sacqueboutes. Certainement le sommet des Vêpres de Monteverdi, le Magnificat à 7, de caractère concertant, se signale par l’excellence des solistes, tous aguerris aux diminutions virtuoses. Le jeu d’écho entre les deux ténors (Vincent Bouchot étant à son tour monté en chaire) est bienvenu. La résonance, sa longueur, sont toujours problématiques dans cet environnement sonore. Le chœur pouvait-il articuler davantage ? La compréhension du texte – pourtant familier – est parfois mise en péril. Le soutien, la puissance et la projection pouvaient-ils conférer au faste l’énergie et la dynamique qu’appelle le texte ? Cependant, la jouissance sonore est au rendez-vous.
On retiendra de ce concert la découverte offerte au plus grand nombre de surprenants compositeurs polonais, Mielczewski en premier, dont la production se hisse au meilleur niveau de leur temps, mais aussi une distribution vocale superbe. On ne présente plus Anne Magouët ni Capucine Keller, dont l’entente est parfaite, qui rivalisent de qualités. Maximiliano Banos, haute-contre à laquelle la partition n’accorde que de rares soli, remplit fort bien sa fonction. Quant aux trois autres voix d’hommes, toutes sont appréciées de longue date dans ce répertoire exigeant : Vincent Bouchot et Nicolas Geslot, à l’égal de nos deux sopranes, forment un duo exemplaire, et Renaud Delaigue donne à la basse ses couleurs, avec la conduite, la puissance et la diction attendues. La polychoralité est-elle suffisamment soulignée ? Le placement de tous dans le chœur ne favorisait pas sa perception. Riche de deux violons, de deux cornets (dont Judith Pacquier), de trois belles sacqueboutes, d’un remarquable basson baroque (Moni Fischaleck) et de la basse continue (basse de viole, clavecin et positif), l’ensemble instrumental des Traversées baroques se montre homogène, réactif, coloré, sous la direction attentive et mesurée d’Etienne Meyer.