Une grande messe vénitienne de Vivaldi ? « Impossible ! » s’écrieront les spécialistes, et pour cause : aucune partition complète d’une telle œuvre ne nous est parvenue. Qu’à cela ne tienne : les Arts florissants recomposent – pour reprendre un titre cher à Max Richter – une messe telle qu’elle aurait pu être créée.
Si on reconnaît aisément le Kyrie, le Gloria et le Credo, gardés tels que Vivaldi les a composés, le reste de la partition s’apparente à un pastiche. Les Sanctus, Benedictus et Agnus Dei sont ainsi ce que l’on nomme des contrafacta, c’est-à-dire des pièces musicales habillées d’un nouveau texte. Mais le pastiche est poussé plus loin encore avec le Laudate Dominum de coelis de Michel Corrette, composé à partir du « Printemps » des Quatre saisons, et qui vient clore le concert.
Ces jeux de composition et recomposition peuvent sembler tortueux à la lecture ; en revanche, leur exécution résonne de manière tout à fait cohérente : ce premier défi est donc relevé.
Pour l’occasion, Paul Agnew a réuni autour de lui un orchestre exclusivement féminin, en hommage aux musiciennes de l’Ospedale della Pietà que Vivaldi dirigeait à Venise. Le jeu est net – à l’exception de quelques inexactitudes à la trompette – voire virtuose, notamment pour les trois violons solo chez Corrette. Le continuo est également solide, mais l’orchestre semble un peu effacé, manque de contrastes frappants et de l’énergie vivaldienne qu’on attend.
On fera des remarques semblables pour le chœur : le son est beau, les attaques précises, mais on ne retrouve pas la beauté des phrasés, le brillant, le mordant auxquels les Arts florissants et leur chef nous avaient habitués. C’est d’autant plus frappant pour les spectateurs qui avaient eu la chance, en 2019, de les entendre dans ce même Kyrie et ce même Credo. On notera en revanche un très beau « Crucifixus » et un bis (les premières mesures du Gloria) très réussi.
Du côté des solistes, la soprano Sophie Karthäuser se voit remplacée par un membre du chœur, Violaine le Chenadec. La voix est jolie, bien qu’un peu mince pour remplir la salle ; elle nous livre malgré tout un « Domine Deus » très élégant et bien mené.
Le bât blesse davantage du côté de la mezzo-soprano Renata Pokupic, qui manque cruellement de projection. C’est d’autant plus dommage que son timbre semblait dessiner un contraste intéressant avec celui de sa partenaire et qu’elle semblait porter une vraie attention au texte.
Le sentiment à l’issue de ce concert est donc mitigé ; sans doute reste-t-on sur sa faim parce que les Arts florissants et Paul Agnew nous ont fait connaître des soirées plus mémorables. Nous auraient-ils rendus difficiles ?