Habituellement les récitals Grandes Voix sont l’occasion d’un rendez-vous privilégié d’un artiste confirmé avec son public. Il faut une belle dose de courage (ou d’inconscience ?) de la part de jeunes chanteurs comme Nathalie Manfrino et Saimir Pirgu pour porter toute une soirée sur leur seul nom… bien qu’ils ne soient en aucun cas des inconnus.
Si la renommée de Saimir Pirgu est encore limitée en France, ce jeune ténor Albanais (né en 1981) est déjà une valeur en devenir de la scène lyrique internationale. Découvert à Pesaro dans le cadre du festival Rossini, il a dernièrement chanté le rôle titre d’Idoménée à Zurich sous la direction de Nikolaus Harnoncourt, et prochainement sera Alfredo à Covent Garden, le Duc de Mantoue à Zurich… Une carrière en plein essor. Sa partenaire de scène a également quelques beaux succès à son actif dont une émouvante Roxane dans Cyrano avec Placido Domingo sur la scène du Chatelet… aux côtés de Saimir Pirgu !
Mais sont-ils pour autant à la hauteur de ces « Grandes Voix » ?
Au niveau de l’affluence d’abord, le succès n’est pas totalement au rendez-vous avec une salle Pleyel plutôt clairsemée au balcon.
Du point de vue du chant également, la soirée aura connu des bonheurs divers, le plus frustrant étant peut-être que le duo n’aura que rarement fonctionné, question de vocalité et de répertoire.
Saimir Pirgu a ainsi paru égaré dans la première partie consacrée à l’opéra français. La prosodie française pose audiblement problème au chanteur qui, mal à l’aise, se permet des effets véristes déplacés (la scène de Saint Sulpice). Il a également recours à un pupitre alors que sa partenaire chante sans partition. Cela proviendrait-il d’un manque de préparation du fait du remplacement tardif de Francesco Meli initialement annoncé ?
Il apparaît en tout cas transfiguré en seconde partie dédié à l’opéra italien, de Bellini à Verdi, partageant enfin le jeu de scène de sa partenaire (avec un duo de l’Elixir d’amour enjoué et charmant) et chantant cette fois sans partition. Sa voix qui sonnait contrainte et parfois un peu nasale en première partie dévoile toute sa séduction : le timbre est éclatant de jeunesse, charnu et d’une belle uniformité jusque dans l’aigu. Surtout le ténor nuance enfin son chant avec par exemple une « Furtiva lagrima » superbement négociée mezza voce. I Lombardi en bis nous confirme la santé et l’affinité de l’interprète avec ce répertoire. On notera toutefois une générosité un peu excessive qui met parfois le chanteur en danger et une petite tendance à l’esbroufe qu’il faudrait surveiller.
A l’inverse, sa partenaire n’apparaît pas toujours sous son meilleur jour dans cette deuxième partie italienne. La voix manque de moelleux et surtout de souplesse pour trouver à s’épanouir chez Bellini. La piquante Adina moins exigeante en termes de legato est mieux adaptée à ses moyens, de même qu’un « Addio del passato » plutôt réussi, malgré un déficit de couleur. On sait la chanteuse amatrice de challenges, comme le prouvent ses incursions dans des rôles lourds pour sa voix, tels Roxane ou Rozenn : en bis elle « ose » La Bohême et surtout La Wally. Le résultat est atypique, du fait d’un medium encore insuffisamment corsé, mais emporte finalement l’adhésion par l’élan qu’y insuffle la soprano (particulièrement bien soutenue dans La Wally par un chef aux petits soins) ; reste qu’il ne faudrait pas abuser de ce type d’emplois : la voix se départit déjà rarement d’un vibrato présent dès qu’elle est sous tension.
C’est plutôt dans le répertoire français qu’elle fait montre de ses atouts. On la sent d’ailleurs particulièrement à l’aise dans ces rôles qu’elle a déjà chanté sur scène. L’interprète est fraîche et attachante, pimpante dans ses robes Azzaro1, elle investit jusqu’aux récitatifs, joue avec son partenaire. Vocalement, la valse de Juliette qui ouvre le programme la cueille un peu à froid : les trilles sont habilement escamotés mais la chanteuse tend à grossir les sons aux dépends de la ligne et la virtuosité la met en danger. Le duo de Roméo et Juliette et surtout Thaïs la trouvent beaucoup plus à son aise, la soprano maîtrisant crânement la tessiture escarpée du « Dis-moi que je suis belle… ».
Il ne faudrait pas oublier la direction engagée (parfois trop !) de Patrick Fournillier à la tête de l’orchestre national de Lille. L’ouverture de Romeo et Juliette et la danse de Thaïs sont un maelstrom sonore (les effets étant encore renforcés par les cuivres et les percussions qui, légèrement surélevés, ont tendance à écraser les cordes). Mais le chef sait également – quand il dose plus finement les dynamiques – tisser un bel écrin au service des deux chanteurs (notamment un magnifique extrait de la Wally) parfaitement secondé par un orchestre aux belles sonorités.
Alors, Grandes Voix ? Il est encore trop tôt pour se prononcer, mais Voix à Suivre assurément ! C’est visiblement l’avis du public qui salue très chaleureusement les interprètes à l’issue du concert.
1 Comme le précise le programme