Un peu plus de vingt ans après Lully, le jeune Haendel ébloui par l’Italie tire des métamorphoses d’Ovide le sujet de son opéra Acis et Galatée. Sous les apparences d’une pastorale légère au doux parfum d’Arcadie, l’œuvre contient son lot de situations tragiques et de scènes dramatiques, permettant au compositeur, sous la forme un peu répétitive et très convenue d’une suite d’arias da capo, d’introduire une grande variété de climats émotionnels, ce qui en fait une partition assez dense et du plus grand intérêt. Donné cette semaine en version de concert et en très petite formation au Grand Manège de Namur, l’œuvre a conservé tout son charme et son pouvoir de séduction.
Les neuf musiciens de l’ensemble Masques, chef au clavecin compris, ont fort à faire pour déployer toutes les richesses de la partition. Les interventions des bois (hautbois et flûtes) sont très soignées, mais celles des cordes mériteraient plus d’ampleur, celles du premier violon en particulier manquant aussi un peu de caractère. Dans cet effectif réduit, l’œuvre semble plus faite pour un minuscule théâtre de cour que pour un grand plateau moderne. Le chef Olivier Fortin présente cependant un travail de mise au point très abouti et une véritable construction dramatique de l’œuvre.
L’équipe vocale est dominée par la personnalité très forte de Tomas Kral. Spécialisé dans l’interprétation de la musique ancienne et baroque, apparu sur les scènes en 2005 déjà, le baryton tchèque a décidé d’incarner le géant Polyphème au-delà de ce qu’une version de concert requiert généralement. Il faut dire que son physique athlétique colle très adéquatement au personnage et qu’il semble éprouver un grand plaisir à pousser l’incarnation le plus loin possible. Arrivé sur scène avec de spectaculaires chaussettes à rayures pour seule entorse au strict habit noir des musiciens, on le retrouvera bondissant d’un bout à l’autre de la scène (et même de la salle), pieds nus et dépoitraillé, rendant ainsi toute sa sauvagerie au rôle, et toute leur force dramatique à ses interventions musicales du deuxième acte. Le contraste qu’il établit avec les autres chanteurs est saisissant, et de mon point de vue parfaitement justifié par le sens de l’œuvre. Il chante de mémoire là où ses comparses se tiennent à la partition, et fait preuve d’un investissement de tous les instants qui souligne l’irruption de l’élément tragique dans la partition.
A ses côtés mais dans un tout autre registre, Rachel Redmond en Galatée déploie une touchante musicalité et montre un sens aigu des situations, qu’elle interprète avec une certaine distance philosophique et une véritable grandeur. Née à Glasgow mais ayant fait l’essentiel de sa formation dans les équipes de William Christie avec le Jardin des voix, cette soprano mène sa carrière principalement en France. Et si la voix n’est pas très large – le rôle ne le requiert pas – l’interprétation est très soignée et très juste, pleine de charme.
Issu des chœurs de Cambridge et formé à l’université de Durham, le ténor anglais Hugo Hymas apporte lui aussi beaucoup de soin à l’interprétation du rôle de Acis en belle adéquation dramatique avec sa partenaire. Le duo qui clôt le premier acte et vers lequel culmine toute la première partie de l’œuvre est ainsi rendu avec une très émouvante complicité. Philippe Gagné, l’autre ténor de la distribution cumule le rôle de Damon et celui de Corydon. La voix est parfois un peu voilée mais il montre une belle aptitude à la virtuosité lorsque la partition le requiert. La mezzo Marie Pouchelon complète la distribution pour ce qui concerne les parties chorales. Au final, le public montre, par des applaudissements nourris, qu’il aura passé une excellente soirée.